La SABIX
Bulletins déja publiés
Sommaire du bulletin n. 27
 

La carrière rigoriste de Nicolas BERTHOT (1776-1849)
Polytechnicien de l'an III.
Recteur à vie de l'académie de Dijon (1815-1848).

par Paul Barbier

Dans l'étude sur Pierre Jacotot, parue dans le N°20 du bulletin de la Sabix, j'indiquais, en évoquant la fin du rectorat de Jacotot et les débuts de celui de Berthot, que ce dernier mériterait une étude approfondie. C'est l'objet de l'exposé ci-après, réalisé grâce aux documents des Archives départementales de la Côte-d'Or, des Archives municipales de Dijon, de la Bibliothèque de Dijon, et à l'étude très complète de Colette SADOSKY sur l'enseignement et les collèges de la Côte-d'Or sous la Restauration. Pour une meilleure lisibilité et compréhension du texte, celui-ci comporte trois parties :

D'abord une biographie chronologique de Berthot, ensuite quelques chapitres à thème sur ses grandes idées et activités au cours de son long rectorat : la religion et la science, l'enseignement religieux et le monopole universitaire, la vie estudiantine dijonnaise. Enfin, les procès de l'Université contre la ville de Dijon et contre l'Académie des sciences arts et belles-lettres de Dijon, dans lesquelles il a fait preuve d'une inaltérable pugnacité. Dans une annexe le lecteur trouvera un exposé plus détaillé sur la création et les débuts de l'Ecole normale d'instituteurs de Dijon.

Le terme « académie » pouvant prêter ici à confusion, il sera écrit « académie » quand il désignera l'académie universitaire, et « Académie » quand il s'agira de l'Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon.

Première partie.

Biographie chronologique de Berthot

La jeunesse de Berthot (1776/1795). Du collège Godran à l'Ecole centrale des travaux publics.

Nicolas Berthot est né à Dijon le 23 décembre 1776, il est le fils d'Antoine Berthot, musicien à la chapelle du roi (la Sainte Chapelle de Dijon) et d'Anne Montoiret. A la Révolution il n'est plus question de Sainte Chapelle ni de chantre, et Antoine Berthot devient employé dans l'administration du département. Nicolas a 13 ans en 1789, très marqué par l'influence familiale empreinte de religion et de fidélité à la royauté, il est trop jeune pour se mêler aux événements.

Comme tout adolescent de la bourgeoisie dijonnaise, Nicolas fait ses études au collège Godran, où il a pour professeurs de sciences des hommes éminents comme Pierre Jacotot (physique) et l'abbé Bertrand (astronomie). Il a pour condisciples plusieurs futurs polytechniciens : Charles Belot (X 1796), Jean Claude Riambourg (X 1798) ainsi que le futur chimiste des Ormes du Plessy (X 1794), le Desormes du tandem Clément-Desormes que certains biographes confondront parfois en une seule et même personne, alors que Clément était le gendre de Désormes.

Nicolas Berthot est reçu fin 1794 à l'Ecole centrale des travaux publics (qui ne s'appellera polytechnique qu'en septembre 1795). L'examen consiste alors en un simple entretien avec un examinateur chargé de contrôler les connaissances en arithmétique, algèbre (jusqu'aux équations du second degré), démonstration du binôme de Newton, théorie élémentaire des progressions et logarithmes, géométrie (trigonométrie, construction des quantités algébriques par la ligne droite et le cercle), statique avec application aux 5 machines simples.

Il ne fait qu'un bref séjour à l'Ecole puisque sa fiche matricule le signale « parti sans congé en prairial an III » (juin 1795). Cette situation n'est pas exceptionnelle, nombre d'élèves en cette période troublée désertent l'Ecole et rejoignent leurs familles, soit pour des raisons d'ordre politique, soit simplement pour des raisons d'ordre matériel, la hausse des prix et la pénurie de denrées rendant la vie à Paris difficile pour les provinciaux. Notons aussi que le départ de Berthot de l'Ecole suit de près le retour de Pierre Jacotot à Dijon.

Berthot professeur à l'Ecole centrale de la Côte-d'Or ?

Que fait Berthot à son retour à Dijon ? Certains le donnent comme professeur d'Arts et métiers à l'Ecole centrale de Dijon qui ouvre justement ses cours en juin 1795. Il semble que Berthot fut effectivement pressenti pour ce poste, mais cette chaire ne vit jamais le jour car si le département de la Côte-d'Or avait de grandes ambitions en matière d'enseignement (création d'un cours « d'Arts et métiers » et d'un cours de « méthode des sciences et d'analyse des sensations et des idées ») avec 14 instituteurs au total, le nombre de ceux-ci sera ramené à 9 pour des raisons financières et il est à peu près certain que Berthot ne fut jamais professeur à l'Ecole centrale. D'ailleurs connaissant ses idées religieuses et monarchistes, il est douteux qu'il eût été agréé par les instances révolutionnaires locales qui veillaient aux bonnes opinions civiques des candidats instituteurs.

Monsieur Voisin, ancien professeur d'histoire au lycée Carnot de Dijon, dans une étude inédite sur « La fin du collège Godran et l'Ecole centrale de la Côte d'Or » mentionne les péripéties relatives à la nomination des professeurs de l'Ecole centrale. Le jury d'instruction nomme en floréal an III (avril 1795) le citoyen Vionnois, employé aux Ponts et chaussées, professeur pour les Arts et métiers. Vionnois décline le poste et il est remplacé le 2 nivôse an IV (23 décembre 1795) par « Berthaut, élève de l'Ecole centrale des Travaux publics ». Mais début 1796 un décret supprime les cours d'agriculture et ceux d'Arts et métiers (ainsi que la collection de machines et de modèles qui devait les accompagner), ces cours n'existèrent donc jamais que sur le papier.

Dupont-Ferrier, citant les états de service des proviseurs du lycée Louis le grand, donne Berthot professeur d'Arts et métiers à l'Ecole centrale de la Côte-d'Or pour la période d'août 1795 à août 1796 (ce qui semble douteux), puis, d'août 1796 à janvier 1804 « Il dirige une école (privée) préparant à l'Ecole polytechnique. » Cette version paraît la plus vraisemblable, bien qu'elle montre que Berthot n'hésite pas à faire concurrence à l'Ecole centrale de la Côte-d'Or ! Version confirmée d'ailleurs par l'arrêté du Premier Consul du 25 nivôse an XII (début janvier 1804) nommant les professeurs de mathématiques au lycée de Dijon : Berthaut (sic) est mentionné comme « professeur de mathématiques à Dijon » alors que les deux autres sont cités comme « professeurs des Ecoles centrales de Côte-d'Or et de Haute-Marne ».

Ainsi quoi qu'en disent la plupart de ses biographies je reste persuadé que Berthot (avec ses variantes orthographiques Berthod ou Berthaut et même parfois Berthet) n'a jamais été professeur à l'Ecole centrale de la Côte-d'Or.

Quelques mois après la mort de son père (15 octobre 1795), le 1er janvier 1796, à 19 ans, Berthot épouse Magdeleine Dumont, âgée de 20 ans, fille de Jean Baptiste Dumont et de Jeanne Picot, fripière. Ils auront quatre enfants, deux filles et deux fils, Jean Baptiste Eugène admis à l'Ecole polytechnique en 1819 et Charles Jean Baptiste reçu major dans cette même école en 1831.

Nicolas Berthot, professeur au lycée de Dijon (1804-1810)

La suppression des écoles centrales départementales est décrétée en mai 1802, et un arrêté du 16 floréal an XI (6 mai 1803) annonce la création d'un lycée à Dijon. Pierre Jacotot est nommé proviseur en septembre, mais les professeurs ne sont désignés que début 1804. Berthot est professeur de mathématiques, les cours commencent en avril 1804, mais, semble-t-il, provisoirement dans les locaux de l'ancien collège Godran ; le lycée ne s'installe dans ses locaux définitifs de la rue Saint Philibert (qui devient alors rue du lycée, aujourd'hui rue Condorcet) qu'à la rentrée de novembre 1804.

On possède un témoignage intéressant sur cette période grâce à une lettre du Maréchal Vaillant (X 1807) adressée fin 1867 au curé de Saint Michel, l'abbé Cegaut, citée par Monsieur Metman à la séance de l'Académie du 31 mars 1915 :

« Cette lettre renferme sur sa jeunesse, sur son père, sur différents membres de la famille, sur l'état de l'opinion et sur la division des esprits à Dijon au temps de la Restauration, des détails qu'on chercherait vainement ailleurs ; mais son caractère confidentiel commande la plus grande réserve.

S'en détache cependant un passage qui témoigne de la reconnaissance du Maréchal pour un de ses maîtres dont le nom n'est pas complètement oublié à Dijon, et auquel il reconnaît devoir son admission à Polytechnique : « J'avais conservé de très bonnes relations avec Mr Berthot qui avait été mon maître en 1807 et à qui je dois certainement mon admission à Polytechnique ; la reconnaissance me faisait un devoir d'aller lui rendre visite chaque fois que je venais à Dijon et je m'acquittais de ce devoir avec plaisir car j'aimais Mr Berthot. C'était un homme très distingué, d'un esprit supérieur, d'un savoir remarquable. Il continuait de porter intérêt à ses anciens élèves, les suivant dans toute leur carrière, et ne leur ménageant ni le blâme, ni les éloges. Avec cela, il avait des opinions tranchées, inflexibles, violentes, exagérées... J'accorde tout ce qu'on voudra à cet égard, mais bien plutôt d'après ce que j'ai entendu dire que d'après tous les rapports que j'ai eus avec mon ancien et cher professeur ; jamais nous n'avons parlé de politique ou de religion ; toujours il avait eu la délicatesse de rester avec moi sur le terrain des sciences mathématiques, et c'était son domaine incontesté. Au surplus, il aimait mon père et l'estimait, tout en regrettant de le trouver dans un camp ennemi ; de son côté mon père faisait grand cas de M. Berthot et ne lui marchandait pas sa reconnaissance pour avoir fait faire à son fils, le premier pas dans une route qui devait le conduire si promptement à l'epaulette. Que serais-je devenu, mon Dieu, si je n'avais pas été admis ? Le sac et le fusil à porter ! cela m'effrayait, et non sans raison , car je n'ai jamais sçu (sic) porter le moindre fardeau en marchant. Et cependant j'entendais mon père me dire d'un ton solennel qui me donnait le frisson : « Il me sera impossible de t'acheter un homme si tu n'es pas reçu à l'Ecole polytechnique. » Aussi comme j'ai travaillé pour y entrer, Monsieur le Curé... »

En 1807 Berthot publie dans la « Correspondance sur l'Ecole polytechnique à l'usage des élèves de cette école » d'une étude sur les « Moyens de déterminer rigoureusement certains centres de gravité ». C'est la seule étude mathématique de Berthot que j'aie pu retrouver, ses communications à l'Académie des sciences de Dijon en 1809 sur l'utilité des mathématiques et en 1810 sur la méthode de Lagrange n'ayant pas laissé de traces.

Nicolas Berthot, membre de l'Académie des sciences arts et belles-lettres de Dijon (1803-1810)

Berthot est reçu membre résidant de l'Académie le 18 messidor an XI (7 juillet 1803). L'Académie, dissoute en 1793 comme toutes ses semblables, est réapparue d'abord sous le vocable de « Société libre des sciences, arts et agriculture » ; elle n'a repris son nom primitif qu'en l'an X (1802).

Il donne sa première communication à la séance du 3 fructidor an XI (21 août 1803). Le compte-rendu se borne au titre du mémoire « Géométrie analytique » et à un bref commentaire : « Il s'est proposé de démontrer la plupart des propriétés des lignes en faisant usage de quelques propositions de Legendre, insérées dans les notes de sa géométrie ».

Nouvelle communication le 8 février 1809 : « L'utilité des mathématiques ». Le compte-rendu se borne à l'énoncé du titre. Le « Journal de la Côte-d'Or » qui donne régulièrement le compte-rendu des séances de l'Académie n'est guère plus prolixe dans son numéro du 16 février : « M. Berthaux (sic) a lu un discours sur l'utilité des mathématiques. Il a successivement démontré tous les avantages que présentait chaque partie de cette science, et a cru devoir prouver que, loin de jeter ses sectateurs dans le doute sur les idées religieuses, elle servait au contraire à les y ramener ». Il serait intéressant d'en savoir plus, car c'est l'une des premières manifestations de Berthot concernant les rapports entre science et religion, mais le journal ne donne pas de détails.

A la séance du 22 août 1810, M. Berthod (sic) lit un mémoire sur « La méthode de Lagrange pour la résolution en nombre entiers des équations indéterminées du second degré, modifiée dans son exposition ». Le discours de Berthot a dû être abscons, car le compte-rendu de séance déclare innocemment : « Comment présenter des ouvrages hérissés de calculs, comment soulever la main de fer des mathématiques, et exposer à tous ce qui ne peut être démontré que par elles ? Lorsqu'elles se sont emparées d'un sujet, il ne peut plus être étudié que par les moyens qu'elles nous donnent. On est donc obligé, dans un compte-rendu public, de se borner au titre seul. »

L'Académie de Dijon s'intéresse, non seulement aux sciences, mais aussi à la technologie, elle estime utile que des sociétés savantes facilitent les communications entre le public et les artistes, et qu'elles se chargent de constater leurs découvertes et de les faire connaître, en donnant une appréciation sur leur valeur technique et leur utilité sociale.

Dans ce cadre d'activité Berthot, alors professeur de mathématiques appliquées à la faculté des sciences, va faire partie de deux commissions nommées pour l'examen de découvertes ou de perfectionnements techniques dus à des inventeurs locaux.

A la séance du mois de mars 1811, il fait un rapport sur une voiture présentée par M. Joanne. Après quelques perfectionnements l'affaire revient devant l'Académie en mars 1813. Il s'agit d'une « voiture qui peut, dans un danger subit, s'enrayer instantanément de ses 4 roues et, par le même mécanisme, peut être débarrassée du cheval qui se trouve libre et sans harnois. » L'Académie juge cette invention intéressante parce que tendant à un but éminemment utile. M. Joanne, après des essais multipliés, « est arrivé à la perfection », et l'Académie lui décerne une médaille d'encouragement (Annexe 1)

En août 1814 Berthot présente le rapport de la commission nommée pour examiner « des machines à filer, inventées par le sieur Chauvelot, filateur à Dijon. » Ces machines sont reconnues propres à filer le cachemire et les laines peignées, elles sont utilisables aussi pour filer : le lin et les déchets de soie.

Le rapport se termine sur la vocation de l'Académie « d'exciter les idées utiles en donnant des témoignages de satisfaction et d'intérêt pour ceux qui les conçoivent. » Avec un final qui résume tout Berthot en cette première Restauration. « Votre société qui n'a d'autre désir que de seconder de tout son pouvoir les vues bienfaisantes du monarque dont l'unique pensée est le plus grand bonheur de tous. »

En mars 1816 son discours d'intronisation comme président est consacré au survol des activités passées de l'Académie et au programme d'action futur. « L'Académie de Dijon fut, en ses débuts l'une des plus célèbres de France ... Une science qui promettait les plus heureuses applications était en quelque sorte dans l'enfance et n'offrait aux yeux du savant qu'une ébauche informe, parties non liées entre elles, à laquelle il suffisait de mettre la main pour la perfectionner et l'enrichir. Les académiciens de Dijon aperçurent cette mine féconde et s'empressèrent de l'exploiter ; ils firent des découvertes importantes et des réformes salutaires. Ile donnèrent même à la science une vie nouvelle grâce à une théorie fondée sur l'observation et l'expérience, qui peut être considérée comme une des causes qui ont contribué à porter si loin cette branche des connaissances humaines. »

Dans la première partie du discours Berthot semble viser la science en général avec ses divers domaines ; la seconde partie est plus sibylline, vise-t-il ici la chimie de Guyton-Morveau ? et la révolution qui va suivre dans la nomenclature chimique ?

Quoi qu'il en soit il pense que l'Académie s'est suffisamment occupée des sciences mathématiques, physiques et chimiques par le passé, et il propose pour l'avenir « Aujourd'hui nous voulons essayer de recouvrer une partie de la réputation de l'Académie en faisant pour les sciences morales ce que nos prédécesseurs ont fait pour les sciences physiques ».

Nicolas Berthot, professeur de mathématiques appliquées à la faculté des sciences.

L'article sur la biographie de Pierre Jacotot, premier recteur de l'académie de Dijon, paru dans le bulletin Sabix n° 20 a évoqué la création de l'Université impériale et les débuts de l'académie de Dijon. Je reviens ici sur les débuts de la faculté des sciences, essentiellement à partir de l'étude du doyen Ciry, non éditée.

A l'origine était prévue l'institution de 27 facultés des sciences pour l'ensemble de la France, mais en fait ce nombre est réduit à 10 facultés, situées à l'est d'une ligne Caen-Aix en Provence, sauf Toulouse et Montpellier.

La création de ces facultés pose de nombreux problèmes, au premier rang desquels celui du recrutement du personnel. On envisageait initialement d'affecter 4 professeurs à chaque faculté des sciences, mais Dijon en aura 5 et, en plus, un professeur adjoint. Les candidats aux diverses chaires sont appelés à se faire connaître et à exposer leurs titres « par la voie de tableaux déposés à la préfecture ». Certains d'entre eux croient bon de se faire recommander auprès des membres du Conseil de l'Université présidé par le Grand Maître Fontanes. C'est ainsi que Cuvier, qui fait partie du Conseil, voit son attention attirée sur Nicolas Berthot, ancien élève de l'Ecole polytechnique où il fut, selon certains, apprécié de Monge, et qui aspire à être nommé à la première chaire de mathématiques de la future faculté.

Au printemps 1809, le 8 juin, Pierre Jacotot adresse au Grand Maître une liste de 4 candidats. En tête Joseph Jacotot, professeur de mathématiques transcendantes au lycée, suivi de Nicolas Berthot, professeur des première et deuxième classes de mathématiques au lycée. Viennent ensuite Morland, docteur en médecine, professeur d'histoire naturelle à l'Ecole centrale de Saône et Loire, choisi récemment comme professeur de botanique à l'Ecole de médecine de Dijon en voie d'organisation, et Vallot, médecin, professeur d'histoire naturelle à l'Ecole centrale de Côte-d'Or. Les postes de professeurs de physique et de chimie restent à pourvoir.

Le 25 juillet 1809, après avoir pris les renseignements convenables auprès des Inspecteurs généraux de l'Université qui ont été en mission à Dijon, et des fonctionnaires de l'Université employés dans cette académie, le Grand Maître Louis de Fontanes signe l'arrêté de nomination.

Professeur de mathématiques pures : Joseph Jacotot.
Professeur de mathématiques appliquées : Nicolas Berthot.
Professeur d'histoire naturelle : Pierre Morland.
Professeur de chimie et doyen de la faculté : Pierre Jacotot.
Professeur de physique, professeur adjoint de chimie et secrétaire de la faculté : Louis Guéneau d'Aumont.
Professeur adjoint d'histoire naturelle : Jacques Vallot.

Dans une version antérieure de cet arrêté Joseph Jacotot figurait comme professeur de mathématiques appliquées et Nicolas Berthot comme professeur de mathématiques pures ainsi qu'il le souhaitait. Dans cette version le doyen n'était pas encore désigné et Guéneau d'Aumont, mentionné comme professeur de mathématiques au lycée de Nancy n'était nommé ni professeur adjoint de chimie, ni secrétaire de la faculté.

Tous les professeurs nouvellement nommés à la faculté des sciences, qui enseignaient antérieurement au lycée de Dijon, continuent à y faire leurs cours comme par le passé, à l'exception du recteur et doyen Pierre Jacotot, entièrement occupé par l'organisation de l'académie, Guéneau d'Aumont devient alors professeur de physique et chimie.

Un problème se pose alors, les professeurs doivent être d'un grade au moins égal à celui des diplômes qu'ils seront appelés à délivrer. On le règle à la manière napoléonienne, en conférant le titre de « docteur » par décret à tous les professeurs...et ainsi à la première page du « Registre des gradués de la faculté de Dijon » apparaissent, à la date du 20 août 1810, les noms de Pierre Jacotot, docteur es sciences et es lettres, Joseph Jacotot, Nicolas Berthot, Pierre Morland, Jacques Vallot et Louis Guéneau d'Aumont, docteurs es sciences.

Comme signalé dans notre étude sur Pierre Jacotot, la faculté des sciences n'accueillit qu'un petit nombre d'étudiants, lycéens ou « amateurs ». En 1810/1811, sont inscrits seulement 30 élèves et 40 « amateurs » ; les mathématiques transcendantes en réunissaient 14, tant pour le lycée que pour la faculté, tous des jeunes. A leurs débuts, les facultés sont essentiellement chargées de conférer les diplômes de licencié et de docteur, ainsi que celui de bachelier aux élèves arrivés en fin d'études secondaires. Il faut attendre 1820 pour découvrir un bachelier es sciences, 1829 pour un licencié es sciences, et 1830 pour un docteur.

Le rectorat de Berthot. La Restauration et l'épuration.

Pendant les Cent Jours, comme quatre autres professeurs de faculté, Berthot refuse de prêter le serment d'obéissance à l'empereur. En septembre 1815, Pierre Jacotot est destitué de son poste de recteur et remplacé par Berthot. Le remplacement de Jacotot n'est pas très apprécié de la population dijonnaise. Jean Bénigne Toussaint, auteur d'un journal manuscrit, qui a été secrétaire de Jacotot pendant cinq ans, d'opinions royalistes et antibonapartistes, père de Louis Denis Toussaint (X 1823), écrit à la date du 11 septembre 1815 :

« La destitution de Jacotot paraîtra une injustice aux hommes impartiaux, car on ne pouvait mettre plus de zèle que lui à remplir les diverses fonctions de la place, mais on lui reproche d'avoir été fédéré, faute irrémissible que les bons royalistes ne peuvent pardonner. Il vient d'être remplacé par Berthot, fils d'un ancien chantre de la Sainte Chapelle, professeur de mathématiques spéciales à la faculté des sciences ; homme ferme, dur, d'une moralité sévère, et pourvu d'un grand fond de religion. »

Dès cette époque, l'austérité et la sévérité de Berthot sont donc bien connus, comme son tempérament, opposé à celui de Jacotot, « homme d'une moralité conciliante et d'une politesse extrême » (J.B. Toussaint). D'ailleurs Berthot est très réservé vis à vis de son prédécesseur ; il écrira en 1842 dans une lettre au préfet : « M. Jacotot était un homme fort distingué, ce n'est pas moi qui contesterai les qualités dont il était doué. Mais il avait deux grands défauts pour un administrateur : la faiblesse et la timidité, et ce sont là les sources des difficultés sans nombre qu'il a laissées à son successeur, notamment celles que lui a déjà faites et que lui fait encore l'Académie des sciences, arts et belles-lettres. Pendant ces 27 dernières années d'une administration pénible, je me suis efforcé, comme je m'efforce encore, de préparer à mon successeur un héritage moins triste que celui que j'ai reçu de mon prédécesseur. »

Les premières décisions de Berthot annoncent sa politique future. Au collège royal de Dijon (l'ancien lycée), l'abbé Tardy qui nommé provisoirement proviseur a indisposé le personnel en chassant les employés et maîtres d'études dévoués à Napoléon, est nommé en octobre proviseur du collège d'Angers, il obtient donc de l'avancement, mais pas celui qu'il souhaitait à la tête du collège de Dijon. C'est Peignot, ancien principal du collège de Vesoul, puis inspecteur de la librairie et de l'imprimerie en Côte-d'Or, qui est nommé proviseur à Dijon.

Une campagne d'épuration est menée à l'encontre des principaux des collèges, démis pour des raisons d'ordre politique ou religieux. Berthot vise particulièrement les prêtres constitutionnels, et surtout les prêtres mariés. L'école de Darier à Beaune est fermée. Prêtre marié il était, d'après le sous-préfet, « un très mauvais sujet, jacobin forcené, ennemi de Dieu et de la religion. ». En 1819, dans une situation politique plus favorable car la préfet Stanislas de Girardin est un libéral, Darier demande la réouverture de son pensionnat ; Berthot manifeste une vive opposition, « les prêtres mariés sont des individus peu propres à apprendre aux enfants ce que c'est que de tenir ses engagements. L'université est-elle la ressource de tous les gens qui prétendent n'en pas avoir ? ». Les inspecteurs généraux estiment qu'il est trop intransigeant : « un prêtre marié à qui on conduit des enfants librement est dans le droit commun ; il peut ouvrir une pension s'il a les qualités requises » Mais Darier ne réussit pas à obtenir son autorisation, il enseignera le latin clandestinement chez lui puis, en 1825, grâce à de puissants appuis, il recevra enfin une autorisation provisoire de maître de pension.

A l'époque, personne n'ose réagir contre ces mesures d'épuration, ce n'est qu'après les journées de juillet 1830 que les passions se déchaîneront, au sein d'une campagne de presse véhémente contre Berthot, dont le trône rectoral vacillera, mais qui parviendra à sauver son poste. Nous en reparlerons.

A la première séance du conseil académique présidé par Berthot, en octobre 1815, il expose la nécessité d'adresser une circulaire à tous les chefs d'établissement sur l'amour que les élèves doivent à la religion et au Roi. Il propose que, deux fois par semaine, un devoir soit donné dont le sujet serait tiré des livres saints, ou « des traits de l'histoire de France les plus propres tant à faire respecter et pratiquer la religion, qu'à chérir l'auguste maison de Bourbon ... Dieu et le Roi ne peuvent jamais être séparés. » Guéneau de Mussy, professeur de littérature grecque à la faculté des lettres, est chargé de rédiger le texte correspondant.

En revanche une proposition tendant à terminer la prière d'usage à la fin des classes par le « Domine salvum regnum » est ajournée et on n'en entendra plus parler.

En décembre le conseil académique débat sur une proposition de Guéneau d'Aumont visant à faire un don à Sa Majesté pour célébrer son retour sur le trône. Berthot propose de faire verser par chaque professeur de la faculté et du collège royal de Dijon une somme équivalant à un demi mois de traitement. Finalement l'académie enverra 20000 francs à la Commission de l'instruction publique, avec un exposé des motifs dithyrambique. La Commission transmet au ministre de l'intérieur, qui adresse en retour les remerciements du roi le deux janvier. On ne sait quelle fut la réaction intime des professeurs qui, en cette période de difficultés financières, ne touchaient que de faibles traitements, quand ils étaient payés !

Quelques mots sur les relations de Berthot avec la ville de Dijon. Le 17 novembre le nouveau maire, Durande, écrit au recteur pour le féliciter du choix qu'il a fait en nommant deux instituteurs recommandés par la mairie. « D'ailleurs nous ne devions pas attendre moins de votre inaltérable fidélité à la monarchie légitime et de votre amour pour le meilleur des rois ». On est entre gens de bonne compagnie et de mêmes opinions politiques. Mais ces relations cordiales durent peu, en décembre Berthot se plaint au maire à propos du logement de soldats autrichiens, probablement chez le concierge du collège ou de la faculté de droit, (on ne possède pas la lettre de Berthot). Le ton sans doute peu amène de Berthot fait réagir le maire vigoureusement : « Il est dans les devoirs de ma charge de ne jamais manquer aux convenances envers qui que ce soit, et surtout à l'égard de fonctionnaires ... C'est infructueusement que vous avez écrit cette lettre. Je suis fâché de votre peine, et surtout de la mauvaise humeur que vous avez éprouvée pour n'avoir pas connu la manière dont se règle le service militaire. Ma consolation est de penser que vos lettres seront plus circonspectes et que vous n'inculperez pas le maire de Dijon sans avoir la certitude qu'il se soit écarté de ses devoirs, mais il aura soin de ne pas vous placer dans cette position, parce qu'il les respecte trop pour jamais s'en écarter ! »

Berthot reçoit donc une verte leçon de politesse. Est-ce une première escarmouche annonçant la lutte acharnée qui va mettre aux prises l'université et la ville de Dijon à propos de la propriété des bâtiments de l'ancien collège Godran?

Nicolas Berthot, président de l'Académie des sciences, arts, et belles-lettres de Dijon (1816-1818)

Berthot devient président de l'Académie en 1816 ; il inaugure sa nomination le 30 mars par un discours résolument orienté sur la religion, fondement de la société : « Quelques mots sur l'état de la France avant et après Voltaire ». En résumé il déclare qu'avant la Révolution la religion maintenait partout « une douce harmonie, c'était une garantie réciproque entre le prince et ses sujets ». Il affirme « que toute autorité vient d'en haut... elle donnait à la société les seules bases garantissant la durée. Si l'on s'attaque à cette vérité l'édifice s'écroule et ceux qui veulent se soustraire à son joug tombent dans l'anarchie ». Il trace les portraits de Voltaire et Rousseau, « les premiers auteurs de tous nos maux ».

Appliquant ces principes au programme de l'Académie, il estime qu'elle doit reprendre une vie nouvelle, qu'elle doit employer ses travaux à « ramener les esprits qui pourraient être encore égarés, à faire goûter la vérité, à faire aimer la vertu ».

Il évoque ce prince, protecteur de l'Académie (le prince de Condé, ancien gouverneur de Bourgogne) et annonce que le duc d'Enghien, descendant de cet illustre français, sera le sujet du concours annuel de l'Académie pour le prix de 1816. Il appelle « l'un de ces chevaliers hardis qui ont toujours pour règle « Fais ce que tu dois, advienne ce qui pourra » à chanter l'infortune et la gloire du jeune héros ». Deux formules apparaissent dans ce discours, qu'on retrouve souvent dans ses écrits, et qui peuvent être considérées comme sa devise : « Dieu et le Roi » et « Fais ce que dois, advienne que pourra », qu'on pourrait traduire brutalement par « fais ce que tu crois devoir faire, et tant pis pour ce qui arrivera ».

Le prix est attribué en 1817 à un obscur employé au ministère de la Marine, Maquart, « malgré les taches que l'on a remarquées, mais où trouver aujourd'hui un Bossuet pour célébrer l'infortune et la gloire du jeune héros ? » Berthot termine son discours par une phrase longue et alambiquee, émaillee de « qui » et de « que », que ne va pas manquer de relever un auteur inconnu. La bibliothèque municipale de Dijon conserve en effet un curieux pamphlet, édité à Bruxelles en 1817 : « La dunciade dijonnaise au berceau de Jésus ; opuscule chrétien et Noël tout bourguignon, dédié à Berthot, écrivain plein de nerf et recteur plein de fermeté et bouffi d'orgueil ». Je rappelle que « dunce » signifie en anglais lourdaud, ignorant, et fait allusion à un poème de Pope, « La dunciade » (1728) dans lequel celui-ci traitait des mauvais écrivains anglais. L'auteur du pamphlet éreinte Berthot :

« Le pédagogue, armé comme Samson d'un style plat et rogue,
Il rudoie et l'esprit, et Lancastre et Voltaire,
Mais l'âne (de la crèche) qui le reconnaît,
Avec lui fraternise et brait
Et l'engage à se taire ».

Selon une note manuscrite ce pamphlet a été glissé sous les portes dijonnaises le jour de l'enterrement de Dèze, ancien procureur à la cour de justice criminelle de Côte-d'Or et député au Conseil des Cinq Cents, décédé à Dijon le 20 novembre 1819.

L'année 1817 marque la fin de la présidence de Berthot à l'Académie, et le début des démêlés sans fin opposant l'académie universitaire à la ville de Dijon, et l'Académie de Dijon. Nous reviendrons sur ce point plus en détail.

L'affaire Morland (1816-1817)

Pierre Morland a été nommé en 1810 docteur es sciences et professeur d'histoire naturelle à la faculté des sciences. Mais il fait aussi de la politique. Fervent bonapartiste, il a fait partie de la municipalité pendant les cent jours et on l'accuse de fédéralisme à la seconde restauration. Il est arrêté en mai 1816, remis en liberté, mais exilé à Flavigny début juillet, au moment où Dijon attend la visite du duc d'Angoulême. Il a été exclu de l'Académie de Dijon en 1815, avec quelques hommes célèbres comme Carnot, Monge et Guyton de Morveau, et la perte de sa chaire à la faculté des sciences l'a beaucoup affecté.

En juillet 1816 le Conseil académique examine le cas de Morland, suite à une intervention de la Commission de l'instruction publique qui demande au conseil de dire si Morland, dans ses cours, a bien laissé échapper des insinuations contraires à la religion, et dangereuses pour la jeunesse.

Les faits sont examinés avec réticence car Morland est un professeur estimé et respecté. Pourtant « Le conseil fait céder la répugnance devant une déposition contre un ancien collègue, à l'intérêt de la vérité, de la morale publique et de l'Université ». Les membres déclarent « qu'ils ont acquis depuis longtemps la conviction que Morland, loin d'être attaché aux principes que doit professer un chrétien, et surtout un homme chargé de l'instruction de la jeunesse, s'est abandonné à de funestes erreurs dont les conséquences conduisent à la haine et au mépris de notre sainte religion. Cette conviction résulte du témoignage de l'opinion publique et de celui de plusieurs élèves qui, malgré l'indifférence de la plupart d'entre eux à l'égard de la religion, ont témoigné de la légèreté avec laquelle Morland annonçait des faits en opposition avec ceux consignés dans les livres saints et qui font partie de nos croyances ». Que reproche-t-on exactement à Morland ? Essentiellement la teneur d'un discours prononcé en 1813 pour la rentrée des facultés contenant des principes favorables au matérialisme, et une communication à l'Académie en 1809, « La vérité du déluge universel », où Morland combattait la théorie biblique par des observations géologiques (terrains et fossiles) , et présentait des « considérations sur l'âge de la terre qui annonçaient le désir de multiplier les sectateurs de pernicieuses doctrines ».

Finalement le Conseil déclare qu'il s'est livré à un examen impartial des faits, que sa déposition n'est dictée que par l'intérêt du bien public et n'a pour but que d'éclairer la conscience des chefs de l'Université.

Berthot sera bien sûr accusé de la disgrâce de Morland, alors que certains n'excluent pas qu'elle résulte de manœuvres de Vallot, l'adjoint de celui-ci à la faculté des sciences, qui aurait bien aimé devenir professeur titulaire. Dès la chute de l'Empire, le 28 août 1815, il s'était plaint au Conseil royal de l'instruction publique « d'avoir été privé par la cabale et l'intrigue de la place de professeur à la faculté des sciences, place à laquelle ses services lui donnaient droit », et il demandait réparation. Il avait alors reçu des promesses pour l'avenir, qui ne seront jamais tenues, car Morland retrouvera rapidement son poste après une intervention auprès du préfet de Tocqueville. Quelques années plus tard Morland fera même partie du Conseil académique sur proposition de Berthot, qui a récusé les candidats agréables au cabinet du ministre, en faveur de Proudhon et Morland, dénoncés par tous les ultras dijonnais mais dévoués et compétents.

Cet épisode illustre bien les rapports entre science et religion à cette époque de réaction qui suit la restauration. Mais il montre aussi la complexité de l'attitude de Berthot, qui n'hésite pas à faire passer le bien de l'Université et la compétence des professeurs, avant leurs opinions politiques ou religieuses, et peut-être même avant les siennes.

Ordonnance du Roi nommant M. Berthot professeur de géométrie descriptive à l'Ecole royale polytechnique.
Archives de l'Ecole Polytechnique

Cependant Berthot s'est fait des ennemis chez les libéraux qui ne lui pardonnent pas l'épuration de 1815, et il passe pour un ultra royaliste. Les inspecteurs généraux sont plus circonspects, leur rapport d'avril 1817 mentionne à ce sujet : « Il n'y a pas de parti intermédiaire à Dijon, il y a les ultraroyalistes et les libéraux. Monsieur Berthot est du premier parti parce qu'il croit vraiment que l'autre parti ne veut pas de légitimité. Partout ailleurs il serait dans le parti moyen ou raisonnable mais, à Dijon, il n'y a point à choisir ». Disons plutôt que Berthot est une personnalité atypique, difficile à classer dans une catégorie ; certes ses convictions le rapprochent des ultras, mais son aversion à l'égard de l'enseignement religieux et son credo du monopole universitaire le font rejeter par ceux-ci.

Berthot est donc en butte à des attaques venant des deux côtés. On ne connaît pas exactement les causes de sa querelle avec le préfet libéral de Girardin mais, dès 1819, les relations entre les deux hommes sont tendues ; pour preuve, Berthot n'est pas invité au dîner que le préfet donne aux fonctionnaires, et même pas à celui qu'il offre aux inspecteurs généraux en tournée. Ceux-ci notent d'ailleurs que « M. le préfet et le recteur parlent chacun une langue étrangère l'un à l'autre ». Dès l'arrivée de Girardin à Dijon (9 avril 1819), un incident relaté par le « Journal des annonces et de littérature de Côte-d'Or » daté du 23 mai, marque la visite que tout nouvel administrateur du département effectue traditionnellement au collège royal. Le proviseur, Peignot, est absent et n'a pas accordé une journée de vacances aux écoliers comme il est d'usage, alors que ce congé a bien été accordé à l'occasion du passage des inspecteurs généraux. Peignot écrit au préfet le 24 pour mettre les choses au point : il était absent pour raison de santé et en avait averti le préfet ; d'autre part un arrêté de la Commission de l'instruction publique daté de février précise qu'on ne peut accorder dans les collèges royaux que les jours de congé mentionnés dans le règlement. Lors de la visite des inspecteurs généraux, c'est eux-mêmes qui avaient accordé le congé et, « en tant que représentants de la Commission, ils ont le pouvoir de suspendre momentanément l'exécution d'un arrêté ».

Le 26 août, Berthot invite de Girardin à la distribution des prix du collège royal, qui doit avoir lieu le 28. Le préfet est-il indisposé par la brièveté du délai ? Toujours est-il qu'il répond qu'il ne pourra pas être présent, ce qui est très inhabituel pour ce genre de cérémonie.

Petits incidents mis en exergue par la presse locale, qui montrent que, véritablement, le courant ne passe pas entre le recteur et le préfet. Celui-ci ne restera d'ailleurs pas longtemps à Dijon puisqu'il est destitué en avril 1820.

Berthot, professeur fantôme à l'Ecole polytechnique (1817).

En février 1817 une ordonnance royale le nomme professeur de géométrie descriptive à l'Ecole royale polytechnique, nomination annoncée officiellement au Conseil d'instruction de l'Ecole le 3 mars. Or Berthot n'a jamais occupé la chaire prestigieuse auréolée de la gloire de Monge, et force est de penser qu'il tenait par dessus tout à son poste de recteur. Mais pourquoi l'avoir nommé officiellement s'il refusait de quitter Dijon ?

Peut-être veut-il rester à Dijon afin de poursuivre son action en faveur de la plus grande gloire de l'Université, et de l'académie de Dijon en particulier ; peut-être aussi veut-il mener à bien deux affaires qui lui tiennent à cœur, qui s'engagent à peu près à cette époque et vont l'occuper pendant de nombreuses années : les revendications de l'Université sur les bâtiments de l'ancien collège Godran, et ses prétentions sur les biens de l'ancienne Académie.

Lettre de Lainé au Baron Bouchu, gouverneur de l'Ecole polytechnique
Archives de l'Ecole Polytechnique

Berthot et les autorités locales. Le pouvoir et l'enseignement.

La première restauration avait démantelé l'Université et créé un Conseil royal de l'Instruction publique composé d'un président, le Cardinal de Beausset, de deux conseillers nommés par le Roi et de deux conseillers pris dans le clergé, avec sous leurs ordres douze inspecteurs généraux des études chargés de visiter les académies. Pendant les Cent jours l'Université est reconstituée le 30 mars 1815.

A la seconde restauration les ultras sont déterminés à combattre par tous les moyens la politique de transaction de la Charte et à restaurer, dans toute la mesure du possible, les institutions de l'Ancien régime. L'Université est menacée, mais elle est heureusement sauvée par Royer-Collard, président d'une Commission de l'Instruction publique oeuvrant sous l'autorité du ministre de l'Intérieur. Royer-Collard est assisté de Cuvier, Guéneau de Mussy, Petitot, et de l'abbé Frayssinous, tous royalistes de sincérité éprouvée, mais partisans d'une Université forte.

Toutefois les ultras ne désarment pas, et le 31 janvier 1816 le député Murard de Saint-Romain déclare à la Chambre qu'« il faut détruire tout ce que la Révolution a fondé de contraire à la religion et à la morale ». La majorité vote une motion, « La religion sera la base essentielle de l'éducation. Les collèges et les pensions seront sous la surveillance immédiate des archevêques et des évêques qui en réformeront les abus. Les évêques nommeront aux places de principal des collèges et des pensions. Le principal nommera les professeurs. Les évêques pourront néanmoins révoquer les sujets incapables, ou dont les principes seraient reconnus dangereux ».

Cependant la motion paraît à certains encore trop modérée, et un membre du clergé propose « l'extinction de l'Ecole normale, de l'Ecole polytechnique, de toutes les écoles militaires, des lycées, des Ecoles d'Arts et Métiers, et généralement de tous les établissements qui avaient été dotés par Bonaparte ».

L'ordonnance du 6 septembre 1816 prononce la dissolution de la Chambre introuvable et emporte tous ces beaux rêves. C'est dans cette atmosphère franchement hostile à l'Université que Berthot manifeste une fois de plus son esprit d'indépendance. Bien qu'antijacobin convaincu, il veut une centralisation poussée de l'Instruction publique : elle « me paraît devoir être entre les mains du Roi, elle n'y peut être qu'avec un corps unique dont le chef soit l'homme de Sa Majesté » . C'est le schéma exact de l'Université « Une et Indivisible », avec à sa tête un Grand Maître sous les ordres directs du souverain (l'Empereur ou le Roi). C'est aussi une allusion au monopole universitaire, le leitmotiv futur de l'action de Berthot, qui lui vaudra les foudres et des ultras et des libéraux.

On a relevé son opposition avec le préfet Stanislas de Girardin, mais il est aussi en conflit avec les autorités locales qui ont tendance à s'immiscer dans le fonctionnement des collèges. Il existe en effet dans chaque ville dotée d'un collège « un bureau d'administration » composé d'un président, le sous-préfet ou le maire, et de quatre membres, l'un d'eux étant choisi par la municipalité, et les trois autres par le recteur, généralement parmi les notables, gros propriétaires fonciers, magistrats ...Le bureau d'administration doit visiter le collège de temps en temps afin de s'assurer du maintien de l'ordre et de la bonne tenue des élèves. Un rapport annuel est établi, qui propose la répartition des fonds accordés par la ville pour le soutien et l'entretien de l'établissement. Les délibérations doivent être approuvées par l'autorité supérieure de l'Université sur proposition du recteur.

Les bureaux d'administration sont en outre consultés sur le choix du régent en cas de vacance de poste. Berthot écrit qu'« ils cherchaient en quelque sorte, à s'attribuer les nominations en contrariant ou en recevant de mauvaise grâce les personnes qu'ils n'avaient pas présentées ». Les conseils municipaux tenaient d'ailleurs sous leur dépendance la vie des collèges et le sort des régents puisqu'ils votaient chaque année les subventions pour l'entretien des locaux et les traitements du personnel.

De nombreuses villes estimaient qu'il leur revenait de nommer les professeurs puisqu'elles les payaient sur le budget municipal.

Plusieurs abus à Semur et à Saulieu, où on veut supprimer le traitement du principal afin de le remplacer par un autre choisi par la municipalité, conduisent les inspecteurs généraux à écrire en 1821 qu'il y a là un exemple « de ce que deviendrait l'Instruction publique si elle était abandonnée à l'arbitrage des commérages et aux petites passions des autorités locales ». Et le Recteur de renchérir, « il faut soustraire les collèges de l'influence des communes, l'action du corps enseignant doit être libre de tout son cours »

Le prospectus du collège royal de Dijon (1820).

Bien que non directement rattaché à la biographie de Berthot, ce document, le plus ancien du genre que j'aie pu retrouver, mérite d'être cité ici car il est caractéristique des idées de l'époque, et de celles de Berthot en particulier, sur l'enseignement et la discipline dans les établissements secondaires. Si l'on s'intéresse à l'évolution des idées, on peut le rapprocher de prospectus ultérieurs (1835-1840), ou même des conceptions d'aujourd'hui, près de deux siècles plus tard.

Le texte de 1820 annonce d'emblée le grand principe fondamental : « les bases de l'enseignement sont les dogmes et les préceptes de la religion catholique », puis il est question de l'aumônier, de la chapelle à l'intérieur même du collège « de sorte que les élèves ne peuvent être détournés par aucune distraction extérieure du respect dû à Dieu ». Cette déclaration anticipe sur l'ordonnance de 1821 qui pose en principe que « la jeunesse réclame une direction religieuse et monarchique. Le corps enseignant prendra donc pour base de son enseignement : la religion, la monarchie, la légitimité et la Charte ».

Pour ce qui concerne la morale et les mœurs « les chefs d'établissements s'occupent avec assiduité d'une partie de l'éducation, peut-être trop négligée dans les établissements publics; ils consacrent tous leurs soins à inspirer à la jeunesse qui leur est confiée la douceur des mœurs, la politesse, en un mot tous les égards que les hommes se doivent mutuellement ». Et plus loin, « pour prévenir les moyens de séduction, l'achat de livres ou objets nuisibles, et pour cimenter la confiance que les élèves doivent avoir dans leur proviseur qui leur tient lieu de père, les parents sont invités, quel que soit l'âge de leurs enfants, à se conformer au règlement de police des collèges royaux qui porte à l'article 46, « les parents remettront au proviseur l'argent qu'ils voudront donner à leurs enfants pour leurs menus plaisirs »».

S'agissant de l'enseignement, « le cours d'instruction commence aux premiers rudiments des langues française et latine, et se continue graduellement jusqu'aux plus hautes classes ; il est complété par les cours de philosophie, de physique et chimie, d'histoire naturelle et de mathématiques ».

Il est rappelé que le collège de Dijon présente seul, dans les départements de Côte-d'Or, de Saône-et-Loire, et de Haute-Marne, l'avantage d'une instruction aussi complète. Et la conclusion s'impose, « ainsi un élève laborieux et intelligent se trouve à la fin de ses cours en état d'embrasser avec succès la profession à laquelle il est destiné par sa famille ».

Il faut reconnaître qu'une bonne part de ce document pourrait figurer presque exactement dans le règlement d'un collège de l'Ancien régime, comme le collège Godran, ou dans celui d'un collège de Jésuites, ou d'un lycée impérial.

Cette même année 1820, les inspecteurs généraux en mission expriment leur satisfaction à propos de l'état du collège royal, « tant sous le rapport de la sagesse et de l'économie qui président à l'administration que sous le rapport, plus important encore, de l'instruction religieuse, des mœurs et de la bonne tenue des élèves ». Les inspecteurs rendent aussi justice au talent et au zèle des professeurs, tout en soulignant une certaine faiblesse des classes comparativement à d'autres collèges. Ils invitent le proviseur et le censeur à faire des efforts pour remédier à ce grave inconvénient, attribué à la trop grande facilité pour les élèves d'accéder à la classe supérieure. « Il faut donner des devoirs plus forts, surtout en thème et en version, et veiller à ce que les élèves restés en arrière, par paresse ou manque d'émulation, soient tenus de redoubler ». Notons que l'un de ces inspecteurs généraux est le célèbre mathématicien Poinsot, admis à l'Ecole polytechnique dans la première promotion.

En 1823 un ancien élève de l'Ecole normale supérieure, Daveluy, est nommé professeur de rhétorique au collège royal de Dijon. Pourtant il est mal vu en haut lieu. « Son Excellence n'a pas désapprouvé sa nomination, mais elle est considérée comme provisoire ». Une note du cabinet du Grand Maître datée de 1823 fait savoir « qu'il est accusé de professer des principes dangereux » mais ajoute « qu'il a de la retenue, cependant il paraît qu'il fréquente une très mauvaise compagnie ». Berthot s'efforce d'apaiser les craintes de Monseigneur Frayssinous : « A la vérité, je crois que M. Daveluy ne se défend pas assez contre les idées dont il est bien difficile à la jeunesse de se garantir, mais il a de bonnes qualités, des talents et une bonne conduite ».

On est loin de l'image de Berthot attaché à combattre les normaliens. Daveluy deviendra plus tard suppléant puis professeur à la faculté des lettres. Il participera à la rédaction du journal « Le Spectateur » qui attaque Berthot à boulets rouges, et se fera remarquer lors des journées de juillet 1830.

Nicolas Berthot, administrateur provisoire du lycée Louis le Grand (1823-24).

Fin septembre 1823 Berthot quitte Dijon pour la seule fois durant sa carrière, dans des circonstances, il est vrai, assez particulières. Il est nommé inspecteur général honoraire et, par décret du 30 septembre, chargé provisoirement de l'administration du collège Louis le Grand. Il conserve son poste de recteur, l'intérim étant exercé par le proviseur du collège royal de Dijon, Peignot.

La situation du grand collège parisien est en effet très troublée depuis 1819 ; les élèves jugent l'administration rétrograde et s'exaltent en faveur des grands idéaux de liberté et de droit des peuples. Quelques élèves venus des écoles militaires donnent même des leçons d'insurrection. Un sous-directeur et un maître d'études particulièrement détestés suscitent l'animosité générale. Le proviseur, Taillefer, dresse une liste d'élèves dangereux qui vont être expulsés, lorsqu'une indiscrétion qui révèle leurs noms met le feu aux poudres. L'internat et le petit collège sont assiégés, le proviseur fait appel à la force publique et les élèves, sans armes, feignent de se soumettre. Le collège est fermé pendant deux jours en janvier 1819.

Le sous-directeur honni doit quitter le collège. On pense que la commémoration de la Saint Charlemagne (célébrée par les collèges le 28 janvier, Charlemagne étant considéré comme le fondateur de l'enseignement en France) aura calmé les esprits, mais le 30 à minuit une nouvelle mutinerie éclate, le commissaire de police et les gendarmes interviennent à nouveau pour rétablir l'ordre.

En avril 1819 le proviseur Taillefer est remplacé par Malleval, un libéral plus apprécié par les élèves et les familles que par l'autorité supérieure. Il est à son tour mis à la retraite à la fin de l'année scolaire 1823, et remplacé par Berthot, chargé de rétablir l'ordre une bonne fois.

Cependant l'agitation reprend dès janvier 1824. Les élèves se plaignent de l'empire tyrannique qu'exercent les maîtres, et reprochent au nouveau proviseur de mal nourrir les pensionnaires, de les habiller « comme des savoyards », d'être trop acquis à la religion et de préparer la voie aux Jésuites (ce qui est bien mal le connaître !).

Par des correspondances d'élèves et quelques bavardages, Berthot apprend qu'un complot se prépare. Il souhaite sévir mais il hésite car nombre de têtes de classes sont impliquées, et les « bêtes à concours », garantes du renom du collège, jouissent d'une quasi impunité. Il sait que l'émeute est prévue pour le matin de la Saint Charlemagne ; la veille il envoie chercher un grand nombre de voitures et de fiacres qui pénètrent dans les cours, il convoque les maîtres et employés et leur dicte leur devoir. Les élèves compromis, quarante environ, sont appelés et, dûment accompagnés, reconduits chez leurs parents. Les jeunes gens se sentent humiliés d'être congédiés sans explication, « sans leur chapeau et sans leur uniforme des dimanches ». Les autres élèves sont privés de leurs chefs pour mener à bien la conspiration.

Le lendemain, au cours du banquet traditionnel de la Saint Charlemagne, Berthot porte des toasts à la santé du Roi et du Grand Maître, silence glacial en réponse ; puis un professeur de rhétorique porte un toast à la santé du proviseur, même mutisme ; enfin un professeur d'histoire porte un toast à la santé du censeur, tous les élèves se lèvent et applaudissent.

Le soir Berthot dresse une nouvelle liste d'expulsés, parmi eux l'élite du collège que la Saint Charlemagne a malencontreusement regroupée. Les élèves se rassemblent au carré Marigny sur les Champs-Elysées puis rentrent au collège en bousculant maîtres et portiers, ils exigent la grâce des victimes. Mais les abords du collège sont surveillés, les rassemblements dispersés, seuls les élèves autorisés peuvent pénétrer. On les fouille afin de s'assurer qu'ils ne détiennent pas d'armes.

Les élèves réclament de subir tous le même sort, Berthot ne capitule pas et maintient le licenciement d'une centaine d'entre eux, appartenant aux classes de troisième jusqu'à la classe de philosophie, âgés de 15 à 19 ans, quelques uns encore plus jeunes. Presque tous retrouveront une place dans un collège de la capitale, ou à Versailles, ou à Reims. Berthot avait proposé, mais sans succès, d'interdire aux coupables l'accès à tous les collèges, (lettre au Grand Maître du 3 février), toutefois on tint compte de l'âge des mutins, de la situation des familles, de leur influence.

Quand tout est terminé, Berthot, remercié de ses loyaux services le 1er avril, vient reprendre son poste de recteur à Dijon. M. Laborie, recteur à Strasbourg, nommé proviseur de Louis-le-Grand en avril 1824, sait arrêter à temps les menaces de révoltes nouvelles. Il dépeint sous de sombres couleurs l'état d'esprit des élèves à son arrivée. « Ils rougissaient de faire le signe de croix ; les bons, en petit nombre, devaient cacher leur piété pour se soustraire aux sarcasmes ou même aux persécutions de la majorité. Je fus effrayé du libertinage d'esprit et de cœur qui régnait parmi les élèves ». Le bilan de l'autoritarisme et des sanctions de Berthot semble donc avoir été plutôt négatif.

Son action sera diversement jugée, les uns estimant sa conduite sage et considérant qu'elle a permis d'éviter des désordres extrêmes ; les autres, surtout après 1830, l'accusent d'avoir jeté sur le pavé parisien une centaine d'élèves, dont certains provinciaux. C'est ainsi que le journal « Le Spectateur » qui mène une campagne acharnée contre lui, écrit dans son édition du 26 août à propos de cet épisode : « Sa réputation s'étendit au loin. On parla de lui à Paris et on l'apprécia. (« on », c'est-à-dire les odieux Jésuites du Conseil royal universitaire, ceux qui traquaient les élèves de l'Ecole normale parce qu'il y avait là du savoir et du caractère, c'est-à-dire parfois de la résistance). Il y avait au collège royal Louis-le-Grand à Paris un honnête homme dont on ne savait comment se défaire, M. Manneval, qui a laissé des regrets non éteints. Personne qui osât prendre sa place. Mons d'Hermopolis (Mgr Frayssinous) pensa à M. Berthot, cela s'arrangea très bien. Proviseur à Paris, recteur à Dijon, M. Berthot cumula pour faire plaisir à ses amis du Conseil royal. Il chassa un jour soixante des meilleurs élèves de Louis-le-Grand parce que ces mauvais sujets avaient refusé de crier « Vive le Roi, vive le Recteur ». M. le recteur les mit dehors, sur le pavé de Paris, en attendant que leurs parents de province vinssent les chercher. Mons d'Hermopolis fut un peu déconcerté, mais la maxime de M. Berthot « L'autorité n'a jamais tort » prévalut. »

La création de l'Ecole normale d'instituteurs de Dijon (1828). (Annexe 2)

Berthot souhaite développer l'enseignement primaire avec des maîtres compétents ayant reçu une formation adéquate. Dès la parution d'une circulaire d'août 1828 du ministère de l'Instruction publique encourageant les recteurs à prendre des initiatives afin d'améliorer la formation des maîtres, il écrit au Préfet, le marquis Arbaud-Jouques, afin de souligner l'intérêt de créer une Ecole normale d'instituteurs à Dijon, et d'exposer l'organisation administrative et pédagogique qu'il envisage. Le Préfet répercute au Conseil général et au Conseil municipal qui approuvent le projet fin 1828, les choses sont menées avec célérité et l'Ecole pourra ouvrir à la rentrée de 1829.

Cette Ecole est l'œuvre de Berthot, et mérite à cet égard une étude détaillée qui fait l'objet de l'annexe intitulée « La création et les débuts de l'Ecole normale primaire de Dijon ».

L'enseignement des langues vivantes au collège royal (1828).

Pour une fois, on disserte de programmes pédagogiques au cours de la séance d'avril 1829 du Conseil académique. Une circulaire du Conseil royal pose en effet la question de l'enseignement des langues vivantes dans les collèges. Le recteur ne paraît pas très favorable. Il déclare que « si l'on se borne à la population dijonnaise, ceci présente peu d'intérêt vu que cette population ne se livre ni au commerce, ni aux manufactures, et que notre jeunesse se destine en général à des professions qui n'ont pas de relation avec les étrangers ». Cependant il reconnaît que nombre d'élèves du Collège royal sont étrangers à la ville, et qu'il conviendrait peut-être d'offrir quelques avantages à un ou deux professeurs pour les inciter à se fixer à Dijon. Les cours d'anglais ou d'allemand seraient facultatifs. Il souligne que ces cours pourraient être utiles à ceux qui se destinent au commerce ou à la marine, et que les aspirants à l'Ecole de Saint-Cyr doivent avoir quelques connaissances d'allemand.

Cette affaire aura une suite puisque le prospectus du Collège de 1835, mentionne qu'en plus de l'éducation classique donnée aux frais de l'établissement, celui-ci propose un enseignement supplémentaire facultatif, aux frais des parents, pour d'autres matières : langues vivantes, autres que l'allemand compris dans l'enseignement de base, musique, escrime, danse, equitation.

Discours de Berthot à la distribution des prix du Collège. (1829).

Comme chaque année, la distribution des prix au Collège royal est l'occasion pour Berthot de rappeler en public ses thèmes favoris. Le « Journal politique et littéraire de la Côte-d'Or » dans son édition du 2 septembre 1829, rend ainsi compte de la cérémonie et donne un résumé du discours du recteur.

« Après le discours d'usage de M. Assolant, professeur de seconde, sur « La critique », a succédé M. le Recteur d'académie qui, après une courte allocution aux élèves, a cru devoir révéler à l'auditoire une petite insurrection qui a eu lieu au sein du collège cette année, parmi les pensionnaires, et dont les plus mutins ont été punis sur le champ. Le Recteur a attribué ce complot aux ennemis de l'Université, qui calomnient l'enseignement et les professeurs, qui circonviennent une jeunesse ardente pour porter le trouble dans les collèges, accuser le système d'éducation qu'on y suit, et porter au corps enseignant des coups multipliés qui le renversent et lui fassent substituer une congrégation ; et tout le monde de nommer cette société trop fameuse, qui guette sa rentrée en France et sa mainmise sur l'instruction publique.

Le Recteur a réfuté ensuite ceux qui s'élèvent contre le prétendu monopole de l'Université ; elle l'exerce, a-t-il dit, comme les préfets exercent le monopole de l'administration, comme les tribunaux exercent le monopole de la justice. Il a fait alors l'énumération des services rendus à l'Etat par l'Université, il a cité ces officiers du génie civil et militaire, ces administrateurs, ces magistrats qu'elle a formés ; il a développé en un mot tous les titres qu'elle avait à la reconnaissance du public.

Dans ce discours le Recteur a mis une chaleur inaccoutumée, il est vrai que le chef d'instruction combattait justement « pro aris et focis » . Après ce discours, dont l'auditoire a paru partager toutes les opinions, on a procédé à la nomination des élèves. »

C'est la seule circonstance où Berthot s'exprime publiquement au sujet de la « révolte » de janvier 1829 au Collège royal de Dijon (voir ci-après).

La Révolution de juillet 1830.

En 1827 les inspecteurs généraux se sont montrés très satisfaits de la discipline au Collège royal ; par contre une agitation se manifeste à la faculté de droit, attribuée à l'arrivée de « débris de l'école de Grenoble » supprimée en 1821 à la suite de manifestations pro libérales.

En 1829 l'agitation gagne le collège, les internes se révoltent dans la nuit du 17 au 18 janvier, ils frappent un maître d'études et se barricadent dans les dortoirs. Tenaillés par la faim ils en sortent à midi pour aller au réfectoire. Berthot se rend en personne sur les lieux, il impute la mutinerie à deux meneurs, l'un boursier royal déjà exclu du collège d'Orléans, l'autre ancien élève des Jésuites de Dole. Dans une lettre au ministre datée du 18 janvier citée par Colette Sadosky, il conclut : « On suppose que les élèves n'aimaient pas le maître d'études ; Chappe leur a appris comment on se révoltait à Orléans, l'élève de Dole a été enchanté de servir à sa manière ses anciens maîtres ».

Sept élèves âgés de 17 à 18 ans sont exclus. Dans l'immédiat Berthot s'arrange pour que la presse garde le silence sur cette affaire ; pas de trace non plus dans les procès-verbaux du Conseil académique, à part la mention des élèves exclus. Cette même lettre donne des détails sur cette révolte qui rappelle par bien des côtés la révolte de 1823 au lycée Louis-le-Grand.

Cependant, au début de l'année 1830, rien ne semble troubler le calme au Collège ou à l'Université. Les procès-verbaux du Conseil académique ne nous apprennent rien sur cette période, le registre des délibérations étant muet du mois de mai jusqu'à novembre 1830. Heureusement l'histoire dijonnaise et la presse sont plus loquaces.

L'agitation contre les ordonnances de Charles X se manifeste lors du passage de la duchesse d'Angoulême à Dijon les 26 et 27 juillet. Au cours d'une représentation théâtrale des cris hostiles éclatent : « Vive l'Empereur, vive la République. A bas la garce, les ministres, Polignac ! Vive Hernoux. » (maire de Dijon durant les Cent jours). Parmi les manifestants on remarque Daveluy, suppléant depuis peu de Guéneau de Mussy comme professeur de littérature grecque, et bon nombre d'étudiants.

Le préfet Bloque de Wismes cesse ses fonctions le 3 août, il est remplacé par Viefville des Essarts, ancien préfet de l'empire. Berthot fait prendre les couleurs nationales aux élèves du collège royal qui, dit-on, n'avaient pas attendu sa permission.

Quels sont les sentiments de Berthot en cette fin de règne de la branche aînée des Bourbons ? On en a une idée par les commentaires des journaux du 17 août qui traitent de la distribution des prix au Collège. « Il n'y eut qu'un discours, le sien, prononcé d'un ton sec ; il a longtemps péroré sur la nécessité d'étendre l'instruction primaire, de propager aussi l'éducation secondaire. Prêchant pour le saint de sa paroisse, il s'est attaché à démontrer l'absolue nécessité du corps universitaire, il s'est élevé contre la liberté de l'enseignement, contre les méthodes nouvelles, on a cru qu'il n'épargnait pas celles d'un ancien confrère. Cette sortie a excité des murmures qui n'ont pas empêché M. Berthot de continuer les redites. Pour le reste, il y avait un mot sur les émotions que lui avait causées la révolution, mais pas un seul en l'honneur du gouvernement dont la France venait de saluer l'aurore». L'ancien confrère que Berthot n'épargnait pas est probablement Joseph Jacotot, promoteur de l'enseignement universel, qui fut professeur à la faculté des sciences.

Berthot n'évoquera lui-même cette période que bien plus tard, dans une lettre au ministre datée de mars 1842, à l'occasion de ses démêlés avec l'Académie : « En 1830, deux préfets de Côte-d'Or dont l'un était franchement jacobin et marchait à la tête de son monde, et dont l'autre ne faisait que marcher à leur suite, prétendaient que j'étais dans une position fausse et concluaient chaque jour à mon renvoi. Le premier est resté trois mois à Dijon, et le second cinq mois ; je suis encore Recteur, grâce à vous et à d'autres, et j'y resterai tant que Dieu et M. le ministre me prêteront vie et forces. J'irai même jusqu'à dire qu'en restant ainsi, je ne nuirai pas à l'Université ». Les deux préfets visés par Berthot sont Viefville des Essarts et le baron de Trémont dont j'ai raconté la vie mouvementée dans La Jaune et la Rouge.

Il répond ainsi aux allusions du ministre qui pense que le recteur en fait peut-être un peu trop à l'encontre de l'Académie, au risque d'exciter son animosité et celle des milieux influents dijonnais contre l'Université.

La campagne de presse du « Spectateur » contre Berthot (août-septembre 1830)

Le 26 août le « Spectateur » publie un article intitulé « M. Berthot », signé Brugnot, article virulent et même ordurier.

« Le prince de Condé disait : « Quand un homme est en faveur, il faut lui tenir le pot de chambre, quand il est en disgrâce, le lui verser sur la tête », maxime à l'usage des cours, la bassesse avant, la bassesse après ;

Mais si vous n'aviez jamais flatté l'homme en faveur, si, par un juste retour des choses d'ici-bas, l'occasion était venue de faire tomber un délateur du siège qu'il a usurpé, si l'homme qui ne prouvait son royalisme qu'en faisant des victimes, était à son tour victime de ses propres méfaits ... y aurait-il bassesse ou justice ? Nous adressons cette question à l'homme qui, depuis la restauration, a commis le plus de délations et de destitutions, à M. Berthot, pacha ou recteur de l'académie de Dijon, et nous lui demandons compte de sa conduite depuis 1815.

C'étaient les beaux jours des délations, il les exploita avec courage et profit. De malheureux instituteurs de campagne, pères de famille, avaient signé le pacte fédératif des Cent jours, ou déplaisaient au desservant de la paroisse, vaste moisson où pas un épi ne resta debout ! Tous ces grands coupables, des chantres au lutrin, des magisters de village, tombèrent devant la faux du moissonneur. Les collèges eurent leur tour, le despote sabra, comme un gendarme de Paris, ou comme un garde royal suisse, brutalement, avec rage et sans pitié. Nous avons connu parmi ses victimes des pères de famille de grande probité, hommes de savoir et de conscience dont la place était l'unique ressource. Destitués ! Que leur reprochait le recteur ? Ce n'étaient pas d'assez exquis monarchistes, c'étaient peut-être des prêtres mariés, peut-être des fédéralistes, gens soutenant peu le trône et l'autel, point de pardon.

Après les instituteurs et les professeurs, qui frapper, destituer ? Les élèves en droit du Collège royal, histoire à ne plus finir ; les parents d'élèves le savent. Pour une espièglerie, ils étaient bannis hors du pachalik de M. le recteur, c'est-à-dire hors de l'académie de Dijon ».

Puis l'article évoque son passage à Louis-le-Grand, comme mentionné ci-dessus. Il se termine par une description de la conception de Berthot sur le monopole universitaire et un appel à sa démission.

« Nous ne parlons pas de son orgueil, de son outrecuidance et de son encroûtement universitaire, nous le laissons proclamer que toute science émane du monopole des collèges et des langues mortes ; laissons le injurier la méthode Jacotot (Joseph), c'est le bon sens public qui se chargera d'argumenter contre M. le recteur.

Son discours de l'autre jour (à la distribution des prix du collège royal le 16 août), aussi maladroit que vide de raisonnement, a provoqué des murmures qui l'ont averti qu'on ne régente pas le public comme une classe de collège et, sans le respect qu'on porte à notre digne et vénérable évêque, les sifflets en auraient fait promptement justice.

Nous n'attendons pas de M. Berthot qu'il se fasse justice lui-même en démissionnant mais, sous le nouveau règne, nous attendons que les délateurs, les despotes, les persécuteurs, se cachent à leur foyer. Nous avons des listes de destitués. Nous tenons le pot de chambre prêt à être versé ! »

Le « Journal politique et littéraire de la Côte-d'Or » dans son édition du 29 août 1830 réplique en publiant une lettre adressée à son rédacteur par MMs Ladey et Lorain, professeurs suppléants à l'Ecole de Droit :

« Sur refus du rédacteur du « Spectateur » d'insérer la réponse suivante à son article sur M. le recteur, nous vous prions de bien vouloir lui donner place dans votre journal ». Suit une note du rédacteur : « Nous considérons un journal comme une tribune publique, où chacun peut émettre son opinion lorsqu'elle n'a rien qui puisse troubler l'ordre. Nous croyons aussi qu'en principe l'attaque autorise la défense. Dans le cas particulier nous approuvons la première quant au fond, et la blâmons quant à la forme. Voilà notre opinion personnelle relativement à l'article publié. Notre jugement sur le recteur est prononcé depuis longtemps ; en maintes occasions nous l'avons écrit. En attendant que le Grand Maître de l'Université veuille bien satisfaire aux vœux de tout le public, nous croyons devoir mettre sous les yeux de nos lecteurs ce que les professeurs de l'Ecole de droit ont pensé à leur tour devoir publier en faveur de cet homme qui a trop longtemps présidé à l'instruction dans le ressort de l'académie de notre ville. »

La lettre de Ladey et Lorain datée du 27 août 1830 est ainsi rédigée :

« En lisant dans Le Spectateur du 26 un article dirigé contre M. le recteur de l'académie de Dijon, nous n'avons pu nous défendre d'un sentiment d'affliction. Il nous a paru que cet article, dans ses formes violentes, trahissait une haine personnelle exprimée sans mesure comme sans dignité. Bien qu'entièrement désintéressés du ressentiment de cette injure, nous avons cru, amis sincères de la liberté, que cette liberté même ne vivait que de justice et qu'il appartenait à des hommes indépendants et consciencieux de dire publiquement ce qu'ils savent en faveur d'un homme qu'on attaque publiquement. A des exagérations condamnables et peu réfléchies, nous opposons des faits certains ; nous sommes sûrs qu'ils seront appréciés. On affirme, et c'est l'accusation la plus grave, qu'en 1815 une révocation presque générale a frappé les instituteurs primaires de cette académie, nous avons entendu nous même porter à mille ou quinze cents le nombre des victimes. Nous affirmons qu'en 1815 il n'y avait dans cette académie que 992 instituteurs primaires, et que 49 seulement ont été déplacés.

On affirme qu'une odieuse destitution a pesé sur le corps entier des professeurs. Nous croyons avoir la certitude que deux seulement ont été remplacés. Tous les autres, dont le nombre est fort petit, ont été destitués par une mesure générale adoptée par M. Royer-Collard, alors Grand Maître de l'Université.

On reproche à M. le recteur plusieurs autres actes de sévérité, mais on ne dit pas que ces actes, inséparables d'une longue administration, déterminés pour la plupart par le Conseil royal, le Conseil académique ou les divers chefs d'établissements, n'ont en effet jamais eu la couleur politique qu'on leur suppose, que, parmi les élèves chassés de Louis-le-Grand, il y avait trente fils d'émigrés et de chevaliers de Saint Louis, et, parmi les élèves conservés, un neveu du général Foy, un neveu de M. Laffitte, un fils de M. Bavoux, un fils du général Excelmans, un fils du généré Pire.

On ne tient aucun compte de l'embarras et de la dépendance réelle de tout nouvel administrateur dans le temps de réaction, de son ignorance inévitable du personnel de son administration, des délateurs qui l'entourent, des intérêts de parti qui le pressent, de la précipitation qu'on lui impose, de toutes ces difficultés, excuse commune et vraiment raisonnable d'un pouvoir nouveau.

On oublie, après quelques semaines, ces éloges qu'on a soi-même donnés à la nomination si honorable de M. Daveluy, due en grande partie aux longues et pressantes sollicitations de M. Berthot.

On oublie, et l'on n'a même jamais essayé de le savoir peut-être, que les instituteurs primaires, au nombre de 992 il y a 15 ans, s'élèvent aujourd'hui à 1512.

On oublie ces paroles excellentes, prononcées en 1829 à l'installation de notre Ecole normale primaire, paroles qui développaient si éloquemment l'esprit d'une administration toute libérale ; et ce discours public qui brava si haut et si ferme les prétentions jésuitiques, comme le ministère qui les favorisait. On ne sait pas que notre académie est l'unique en France où pas un prêtre ne soit à la tête d'un établissement et que, si l'on excepte les aumôniers des collèges, un seul ecclésiastique fait partie de l'administration.

On ne sait pas enfin, et il est justement bon que l'on sache qu'en avril dernier, M. le recteur reçut injonction de renouveler son Conseil académique et d'y faire entrer le préfet, le maire, l'évêque et le procureur général ; que M. le recteur résista, et proposa obstinément au ministre trois hommes honorables que la réaction de 1815 avait écartés. (MMs. Proudhon, Morland et Mathieu.)

Ces faits, tous matériellement constants, qui tous seraient au besoin, affirmés par l'académie entière, ne sont-ils pas un démenti éclatant des expressions injurieuses que Le Spectateur a imprudemment écrites, et que nous ne voulons pas répéter ? Y aurait-il justice à rappeler des temps amers, des souvenirs oubliés, à n'admettre aucune excuse, aucune réparation du passé, à prendre plaisir à attaquer, à fermer les yeux devant la vérité, à nier tout ensemble les talents, les opinions éprouvées et le caractère d'un fonctionnaire honorable ? M. Berthot est un homme probe, désintéressé, savant, habile administrateur, dévoué aux intérêts de l'enseignement et du régime constitutionnel ; à tous ces titres il est digne de ses fonctions ; et nous avons la confiance que la raison publique et la sagesse de M. le duc de Broglie (ministre de l'Instruction publique) préféreront aux agressions injustes la puissance de la vérité. »

« Le Spectateur » du 31 août poursuit en répliquant :

« Suite à notre article une convocation a été faite de tous les membres du personnel universitaire présents à Dijon. Quelques uns ont cru devoir s'exempter d'y venir. A la suite de ce conciliabule, MMs. Ladey et Lorain, avocats et secrétaires de M. Berthot ont pris en mains sa cause. Les cartons du secrétariat leur ont été ouverts... on leur a livré les secrets qui étaient à publier, et rien de plus. Nous avons porté des accusations générales sans préciser le nombre des victimes de M. Berthot. Nos adversaires parlent de deux professeurs destitués et 49 instituteurs seulement.

On met tous les torts sur la réaction de 1815, mais qui était le fauteur de cette odieuse réaction? Vous osez citer comme protégés de M. Berthot ceux qu'il a poursuivis de ses persécutions : MMs. Proudhon, Morland et Mathieu seraient les obligés de M. le Recteur ! Il faut savoir gré à votre patron de n'avoir pas souffert un seul ecclésiastique à la tête de ses collèges. Mais d'où venait l'horreur de M. Berthot pour les ecclésiastiques ? C'est que, jaloux à l'excès de son autorité, une robe noire lui portait ombrage, le jésuitisme le menaçait, vouliez vous qu'il lui donnât asile ? »

Nous reviendrons sur cette attitude de Berthot, pourfendeur des établissements d'enseignement religieux, qui se manifesta en particulier lors de la compétition entre le séminaire et le collège royal. Le journaliste poursuit : « Il ne s'agit pas ici de la capacité de M. Berthot, mais des violences inouïes de son administration. Si M. Berthot avait senti que sa démission était la seule chose que l'académie attendait de lui, nous nous serions tus, mais sa présence menace encore l'Université, il se cramponne avec confiance à ce pouvoir dont il a tant abusé. Le Spectateur a reçu plusieurs lettres de professeurs subordonnés à M. Berthot, qui expriment énergiquement la satisfaction que leur a causée notre article. »

Dans « Le journal politique et littéraire de la Côte-d'Or », en date du 1er septembre :

« Les professeurs dépendant de l'Université qui, presque tous, jetaient dans un temps la pierre à M. le Recteur se sont assemblés à la vue de la levée de boucliers qui s'est faite contre lui et, comme les gardes du corps, ils ont voulu avoir l'honneur de défendre celui qui, pour eux-mêmes, ne fut pas toujours un bon chef. C'est un acte de générosité. On voulut d'abord protester contre ce qui s'est dit, contre ce qui se disait, contre ce qui s'écrivait, mais il y avait des dissidents, et ces dissidents déclarèrent qu'ils ne signeraient pas la protestation. Ce refus devait laisser une grande lacune dans l'écrit proposé, on a préféré d'envoyer au Grand Maître un député chargé de dire que, si le recteur a fait des fautes dans l'exercice de ses fonctions, il s'est bien amendé. C'est M. le docteur Sene qui est chargé de cette mission. On aurait mieux aimé le voir rester auprès du malade. »

Dans « Louis Bertrand et le romantisme à Dijon » , Chabeuf commente la campagne de presse de Brugnot : « Berthot qui ne cachait ni n'étalait ses opinions légitimistes, eut l'honneur d'être en butte aux attaques incessantes de Brugnot ; l'article du Spectateur du 26 août, grossier de forme et de fond, est une dénonciation civique en règle ; on y sent la rancune du raté de la vie, la revanche du petit professeur aplati naguère devant son chef hiérarchique, du cuistre enfiellé et envieux. Brugnot aggrava encore son cas par l'article du 31, dans lequel il met en cause ses anciens amis Lorain et Ladey, « ces deux chantres avocats » dit-il peu spirituellement, qui avaient pris la défense de leur chef attaqué sans justice ni mesure, et il alla même jusqu'à refuser de publier leur réponse.

Le 30 novembre, c'est une sommation au Ministre Merilhou (ministre de l'Instruction publique et des Cultes), d'avoir à destituer « ce Mahomet qui passe tout au tranchant de son sabre ». Le nouveau gouvernement savait très bien que le recteur de Dijon n'était pas un ami de la veille, mais il s'honora en méprisant les bassesses provinciales et pendant 18 ans de règne, M. Berthot demeura à la tête de l'académie de Dijon. »

Le rectorat sous la monarchie de juillet. (1830-1848)

Le rappel d'anciens préfets de l'empire est un signe politique fort des débuts de Louis-Philippe, roi des français. Il se manifeste aussi au collège, ainsi, fin 1830, on remet en vigueur des pratiques du lycée impérial : usage du tambour et exercices militaires.

En mai 1831 le Conseil académique se tient en présence des inspecteurs généraux Letrone et Cuvier. Berthot soulève la question de l'opportunité d'introduire au collège des exercices de gymnastique. Une commission est nommée à cet effet, qui présente un rapport en juin. « On peut, dès qu'on le veut, fonder un établissement de gymnastique nécessaire à l'éducation physique des élèves, ce qui sera aux yeux des parents une nouvelle preuve de l'empressement avec lequel l'administration du collège accueille tout ce qui est favorable au bien-être de leurs enfants. »

Un incident significatif met aux prises Berthot et le baron de Trémont, à l'occasion de la distribution des prix au Collège royal fin août 1831. L'absence du préfet à cette manifestation a été remarquée et un communiqué publié dans la presse du 31 août précise qu'il n'avait pas été invité. D'où polémiques, protestations du recteur qui certifie avoir envoyé une invitation au préfet, et le journal « Le Spectateur » conclut : « L'invitation a dû se perdre en route. Nous invitons M. le Préfet à relire la pièce de Shakespeare « Beaucoup de bruit pour rien »».

On se préoccupe de plus en plus d'hygiène et de salubrité. En avril 1832, l'épidémie de choléra qui ravage la capitale amène à prendre des mesures sévères afin d'améliorer l'hygiène. En 1833 Berthot demande l'extension des locaux de l'Ecole normale et leur assainissement : « Le défaut de salubrité pourrait compromettre la santé des élèves, alors que les succès des jeunes maîtres sortis de l'Ecole et déjà en exercice laissent présumer de nombreuses demande de la part des communes ». En 1835 un important programme d'amélioration du réfectoire et des dortoirs du Collège royal est engagé, les lits de fer remplacent les lits de bois « qui présentent l'inconvénient d'être, en été, infestés de punaises ».

Le prospectus du Collège royal édité en 1835 (Annexe 3)

Ce texte est révélateur de l'évolution des idées et de la politique de l'instruction publique. La religion catholique n'est plus à la base de l'enseignement, il n'est fait allusion à l'aumônier que dans le chapitre « Moralité », presqu'à la fin du document. En revanche sont mis en exergue, dès l'introduction, les avantages -à côté de ceux d'une éducation complète- « d'une position salubre et agréable ». Placé près des remparts de la ville, l'établissement jouit de « tout ce qui est nécessaire à l'ordre, à la commodité, à la propreté et à la salubrité ». Et on insiste sur le fait que, durant les dernières années, tout le mobilier a été renouvelé, et les dortoirs complètement restaurés et munis de lits en fer.

Cette préoccupation du confort matériel des élèves apparaît encore clairement dans le chapitre intitulé « Nourriture et santé » : « La nourriture est bonne et saine...elle est de premier choix, la même pour les pensionnaires et les maîtres nourris dans l'établissement ». S'agissant de la santé des internes : « Les secours de la médecine ne sont que bien rarement nécessaires : un bon régime, une propreté soignée, le mélange bien entendu du travail, des récréations et des promenades, entretiennent la santé de nos élèves en même temps qu'ils développent leurs forces physiques ». On croirait lire la maxime de Juvenal « Mens sana in corpore sano » ! Tout cela est sans doute fait dans l'intérêt des élèves, mais cache probablement aussi un souci de contrecarrer la concurrence du séminaire, qui a tendance à se rapprocher dangereusement de Dijon et à détourner des élèves du Collège, ce qu'un homme comme Berthot ne saurait tolérer.

Intéressant aussi le chapitre sur « L'ordre et la discipline ». Et d'abord « Le but le plus immédiat de toute instruction est d'élever l'homme, c'est-à-dire d'ennoblir son cœur et son caractère, d'éveiller en lui les forces de l'âme et celles de l'esprit, défaire des hommes vertueux et éclairés ». Formule qui se rapproche plus du siècle des lumières, que de la visée de bons chrétiens fidèles à la royauté. La discipline ne doit pas être trop rigoureuse : « Notre règle de conduite est de prévenir les fautes, afin de n'avoir pas à les corriger». Mais l'article 46 du règlement de police relatif à l'argent mis à la disposition des élèves, inclus dans le règlement de 1820, reste en vigueur et il est cité dans le texte.

La fin du rectorat de Berthot. (1835-1848)

A part quelques incartades d'élèves relevées dans les procès-verbaux des séances du Conseil académique, il n'y a rien à signaler. Cependant, et ceci intéresse les classes préparatoires aux grandes écoles, le rapport des inspecteurs généraux de juillet 1839 oppose les bons résultats des classes de philosophie et littérature à l'enseignement des sciences qui n'obtient pas les mêmes succès, surtout dans les classes préparatoires. « Il y a une sorte de répugnance d'un grand nombre d'élèves à s'occuper de mathématiques ». Le rapport de 1846 va plus loin : « Il serait bon d'établir à Dijon, centre d'examen pour l'Ecole polytechnique, une école préparatoire avec tous ses accessoires. On retiendrait par là les élèves qui, après une année de mathématiques spéciales, s'en vont dans les écoles préparatoires de Paris ».

Qu'en était-il exactement ? Les archives de l'Ecole polytechnique fournissent les nombres de candidats admis par centre d'examen ; de 1794 à 1803, durant la première République, les succès de l'ensemble de Dijon et d'Auxerre furent remarquables, 106 admis en 10 ans, soit 7,7% de la totalité des reçus. Durant le Premier empire, de 1804 à 1814, 83 admis, soit encore 7,7% de la totalité des reçus. De 1816 à 1830, 42 admis, soit 2,8% seulement du total. De 1831 à 1847, 41 admis, soit 1,7% du total, avec des maxima de 4 ou 5 reçus pour les « bonnes années », et aucun reçu en 1839, 1840, et 1842. Mais il paraît hasardeux de tirer des conclusions à partir de nombres aussi faibles. (Pour la période 1794-1999 le nombre des reçus venant des centres de Dijon et d'Auxerre s'élève à 556, soit 2% du nombre total des élèves reçus à l'Ecole polytechnique : 26836). D'autre part on ne peut savoir si ces résultats étaient dus à une défaillance de l'enseignement dijonnais, ou s'ils étaient imputables à une fuite des meilleurs élèves vers Paris due à une autre cause.

En 1840 le nouveau prospectus du Collège ne se distingue pas beaucoup de celui de 1835. On peut remarquer toutefois que le chapitre « Enseignement » inclut un paragraphe intitulé « Religion ». « Les élèves sont instruits dans la religion et formés à la pratique des devoirs religieux par un aumônier... ». Il comprend aussi un paragraphe intitulé « Sciences » . « Les divers cours de sciences embrassent, outre les différentes parties de la philosophie, les mathématiques élémentaires et spéciales, la physique, la chimie, la cosmographie et l'histoire naturelle.... Les jeunes gens qui ont suivi avec succès le cours de mathématiques spéciales sont en état de concourir pour l'Ecole polytechnique. Le Collège de Dijon envoie tous les ans des élèves aux diverse écoles spéciales. »

Enfin, pour les langues vivantes, il existe des cours de langue anglaise ou allemande à partir de la cinquième et ces cours sont obligatoires.

Pour en terminer avec ces prospectus rappelons le préambule du texte de 1820 : « Plus de 16 années écoulées sans qu'il y ait eu de maladies dangereuses, et sans qu'aucun élève ait payé le tribut à la nature, démontrent la salubrité du local, et prouvent que les comestibles dont on fait usage sont constamment de très bonne qualité. ». Il est permis de se demander si les conditions d'hygiène et de salubrité répondent parfaitement à cette déclaration. Dans son chapitre sur le lycée Carnot dans « Dijon et la Côte-d'Or en 1911 », M. Bourlier qui fut dans les années 70 élève de l'ancien lycée (celui qui avait succédé au Collège royal), et qui fut Proviseur du lycée Carnot de 1896 à 1911, écrit avec réalisme à propos du lycée de sa jeunesse, celui de la rue Condorcet « Les pensionnaires n'y avaient pas toutes leurs aises et manquaient même de ce que les hygiénistes réclament aujourd'hui comme nécessaire ; mais ils s'y portaient bien. Quoique situé dans un quartier populaire et entouré de ruelles étroites, c'était un établissement très sain. ».

En juillet 1843, Berthot interdit à Lamartine et Lacretelle, conseillers généraux de Saône-et-Loire, se méfiant certainement de leurs idées libérales, de prendre la parole à la distribution des prix du lycée de Macon. A la fin de cette même année, dans son discours de rentrée des facultés le 6 novembre, il célèbre le triomphe de l'Université et sa victoire sur l'Académie de Dijon par une vibrante exclamation : « Vive le Roi, vive l'Université, vive l'administration de Dijon ! ». Il semble avoir bien oublié ses démêlés avec la ville de Dijon de 1817 à 1831 !

En 1846, Berthot est au faîte de sa carrière et de sa gloire universitaire, il est élevé à la dignité de Haut titulaire de l'Université et promu Grand Officier de la Légion d'Honneur.

La démission de Berthot (avril 1848)

Il démissionne le 14 avril « pour raisons de santé », ce qui est probablement justifié comme nous le verrons, mais de toutes façons, il est certain que pour des raisons d'ordre politique, il n'aurait pu continuer d'occuper son poste de Recteur. Rappelons que Darcy, polytechnicien de la promotion 1821, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées et gloire dijonnaise mais royaliste convaincu, fut à la même époque déplacé de Dijon pour aller s'occuper des marais de Sologne.

Le « Journal de la Côte-d'Or » fait connaître ainsi l'événement : « Nous avons la douleur d'annoncer que le Recteur d'académie a sollicité et obtenu sa retraite après 53 ans de services universitaires, dont 33 de rectorat. La demande de M. Berthot a été accueillie par le ministre de l'Instruction publique (Lazare Hippolyte Carnot, fils du grand Carnot) avec des témoignages de regrets qui constatent la perte que fait l'Université en la personne d'un de ses membres les plus dévoués et les plus éminents.

Pour nous, qui connaissons la longue et laborieuse carrière de M. Berthot, les profonds sentiments de justice et d'impartialité qui inspiraient tous ses actes, la bienveillance toute paternelle qu'il apportait à leur accomplissement, nous regrettons amèrement que des causes de santé privent l'enseignement d'un chef aussi recommandable. M. Berthot ne se distinguait pas seulement par un zèle infatigable dans l'exercice de ses fonctions, par de hautes qualités administratives, il en possédait encore d'autres, non moins précieuses, attestant de sa profonde connaissance du cœur humain.

Jaloux de son autorité, qu'il sut cependant toujours maintenir dans la limite de ses droits, M. Berthot, sous des dehors austères, était affable, bienveillant, et affectueux ; plein de sollicitude et de respect pour les droits acquis, il s'empressait toujours de les reconnaître lorsque, par erreur, il les avait méconnus.

Homme de cœur et de dévouement pour les personnes comme pour les choses, M. Berthot a été fidèle à ses principes jusqu'au bout de sa longue carrière ; le sentiment du devoir qui est le cachet des esprits positifs, fut toujours la source où il puisa pour se guider dans l'exercice de ses difficiles fonctions ; et, s'il a eu des détracteurs, c'est qu'il n'est donné à personne, avec la meilleure volonté du monde, de n'en point avoir quand on est l'arbitre de tant d'intérêts divers.

... Au milieu de la tempête qui agite le vaisseau de l'Etat, nous ne parlons pas, à dessein, de l'homme politique ; tout ce que nous pouvons dire en ce moment, c'est que M. Berthot a toujours aimé et respecté les lois de son pays, et qu'il lui sera dévoué tant que son cœur battra dans sa poitrine. »

On a rarement entendu autant d'éloges sur la personne de Berthot, il est vrai que le « Journal de la Côte-d'Or » a toujours conservé une attitude assez favorable au Recteur et s'est élevé, en particulier, contre la campagne de dénigrement menée par le « Spectateur» en 1830. Quelques jours plus tard, le même « Journal de la Côte-d'Or » fait part de difficultés qui ont, semble-t-il, marqué la désignation de son successeur : « Sur refus de M. Edom, ancien recteur, c'est M. Huart, recteur à Grenoble, qui a été appelé à succéder à M. Berthot. Dès son arrivée à Dijon, M. Huart est entré en fonction et a reçu séparément les diverses facultés ou écoles de l'académie confiées à ses soins. Homme dans la force de l'âge, qui, comme son prédécesseur, a gagné tous les grades universitaires par de longs services. »

La fin de Berthot. (1848-1849)

Berthot ne jouira pratiquement pas de sa retraite, il s'éteint le 20 janvier 1849 dans sa maison de la rue de l'Ecole de droit, aujourd'hui le numéro 14 de la rue Amiral Roussin. Le « Journal de la Côte-d'Or » du 25 annonce son décès : « Les sciences viennent de faire une perte douloureuse en la personne de M. Berthot ... Il était un de ces hommes trop rares dont le mérite surpasse la renommée ... Partout il a laissé les traces de son zèle et de son talent ... Il n'a rien manqué à M. Berthot de ce qui fait les grands hommes, pas même la calomnie mais, ainsi que l'a dit un de ses amis, il n'en est rien resté, qu'un pardon sublime. Courageux défenseur de l'Université, il a toujours soutenu avec dignité les prérogatives du corps auquel il appartenait. Son amour pour la patrie passait dans tous les cœurs lorsqu'il voulait l'inspirer à la jeunesse dans les solennités qu'il présidait, et la jeunesse applaudissait à ces sentiments dont elle comprenait la noblesse et l'élévation », et un final astronomique et lyrique interpelle la ville de Dijon, « Ton beau ciel pleure une étoile de moins ! »

Un nouvel article en date du 25 fait allusion à ses relations avec les ministres de l'Instruction publique : « Tous les ministres qui se sont succédé pendant sa longue administration appréciaient son esprit d'équité, son dévouement à ses devoirs et sa haute capacité. Un homme d'état, aussi illustre dans les lettres que dans la politique, M. Guizot, voulant un jour donner à M. Berthot un témoignage de sa haute considération, le convia à sa table en famille dans sa modeste retraite d'Auteuil ».

Dans le même numéro, un communiqué de l'Académie des sciences rend compte de la séance du 24 janvier. La compagnie a décidé de faire poser dans la salle des séances les portraits des présidents décédés. Ceci pourrait s'appliquer immédiatement pour « un confrère enlevé récemment qui a rendu aux sciences et à l'Université de notables services ». S'insère toutefois dans le communiqué une allusion aux démêlés avec l'Académie. « Quelques dissidences ont pu s'élever entre l'Académie et M. Berthot au sujet des titres de propriété auxquels croyaient avoir droit de prétendre les membres de l'assemblée. Rien ne nous discréditerait plus que de montrer le moindre ressentiment à l'égard de celui qui, par son savoir, a mérité le titre de grand mathématicien, et qui, pour son caractère respectable, s'est élevé au dessus des sourdes menées de personnes jalouses de sa considération ». En tout cas Berthot, comme Pierre Jacotot, n'aura pas droit à un hommage en bonne et due forme de l'Académie, comme il est de règle à l'égard d'un ancien président.

Le « Courrier républicain » du 23 janvier, qui annonce sa mort et relate ses obsèques, est plus nuancé, mais donne quelques détails sur sa maladie : « Les funérailles ont eu lieu hier 22 janvier à 11 heures. Il était atteint, dit-on, du principe de la maladie qui vient de l'emporter. Mais on ne peut douter que les événements politiques, qui ont contribué sans doute à lui faire demander sa retraite, n'aient abrégé les jours de cet homme à caractère si fort, qui ne ressentait jamais à demi ce qui pouvait lui arriver d'agréable ou de fâcheux.

Originaire de la Haute-Marne (ce qui est une erreur) il était depuis plus de quarante ans doyen de la faculté des sciences, comme professeur de mathématiques transcendantes. Il a rempli les fonctions de Recteur de 1815 à 1848. Professeur habile, tous ses élèves ont conservé de lui un souvenir plein de respect. Homme plein d'une extrême énergie, que chez lui le fonctionnaire public ne savait malheureusement pas assez tempérer, il fut appelé sous la restauration à Paris pour rétablir l'ordre au collège Louis-le-Grand; c'est de cette époque que date sa qualité d'Inspecteur général honoraire de l'Université. Il était officier de la Légion d'Honneur.

Doué d'un tempérament vigoureux qu'un travail rigoureux et incessant n'affaiblit jamais, il avait conservé une grande force jusqu'à ces derniers mois, aussi sa maladie dernière et probablement unique, a-t-elle été longue et extrêmement douloureuse ». Ce qui laisserait penser qu'il est mort d'un cancer.

Il n'a apparemment guère laissé de souvenirs dans la mémoire des dijonnais, à l'exception d'un reste de rancune tenace dans l'esprit des académiciens, soucieux de l'histoire de leur illustre Compagnie, et à part le nom de « Nicolas Berthot » donné à une rue de Dijon en mars 1894, en remplacement du nom de Monnet. J'ai pensé un temps qu'il s'agissait de François Monnet, fils adoptif de Prieur de la Côte-d'Or, admis à l'Ecole polytechnique en 1814, et représentant du peuple en 1848. Mais en fait cette rue classée dans le domaine public en 1893 avait porté le nom d'Edme Monnet, le propriétaire qui avait viabilisé les terrains en 1875, qui n'avait aucun lien avec le fils adoptif de Prieur.

Paix donc à l'âme de Berthot, ce n'est pas le lieu de refaire un procès comme il en fit si souvent contre la ville, contre l'Académie et, au sein du Conseil académique, contre des professeurs ou des élèves. Jacotot et Berthot furent deux grands recteurs, mais dans des registres totalement différents. Jacotot, modeste, diplomate, et de grande politesse. Berthot, fanatique de l'Université, obstiné et sectaire comme ceux qui sont de manière constante persuadés d'avoir raison, prêt à tout pour défendre ses causes, parfois même au prix de ses convictions intimes, et usant de méthodes qui ne furent pas toujours très élégantes !


Annexe : Les BERTHOT-RESAL, une lignée de polytechniciens.