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Sommaire du bulletin n. 30
 

Les collections scientifiques et techniques de la Bibliothèque nationale de France

par Alice Lemaire

Cet article décrit les collections scientifiques imprimées de la Bibliothèque nationale de France conservées dans le Département Sciences et Techniques. D'autres fonds essentiels pour les sciences et les techniques sont également présents à la Réserve des livres rares et précieux ainsi que dans les départements spécialisés des Estampes, des Cartes et plans et des Manuscrits. Ils ne seront pas évoqués ici.

On s'attachera à présenter les collections patrimoniales du département Sciences et techniques, le programme de recherche dont elles font l'objet, et enfin les nouvelles collections en libre-accès développées ces dernières années.

1. Les collections patrimoniales

Les collections scientifiques et techniques patrimoniales représentent plusieurs centaines de milliers de volumes conservés en magasins. Elles ne sont communicables qu'en rez-de-jardin. Elles sont presque exhaustives dans le domaine des publications françaises et continuent de s'enrichir au titre du dépôt légal. Environ 6000 monographies sont ainsi reçues chaque année dans le département, qui trie aussi chaque jour 200 fascicules de périodiques (soit 12% du dépôt légal des périodiques).

Les collections scientifiques et techniques patrimoniales comprennent également de nombreuses publications étrangères, dont les acquisitions ont pu être assurées jusque dans les années 1920 (ou à des dates variables suivant les disciplines), l'explosion éditoriale et les restrictions budgétaires ayant contraint l'établissement à concentrer ses efforts sur d'autres secteurs. Les fonds scientifiques et techniques sont répartis dans les lettres R " sciences philosophiques, morales et physiques ", S " sciences naturelles ", T " sciences médicales " et V " sciences et arts " du classement Clément, établi au dix-septième siècle, qui concerne la plus grande partie des collections patrimoniales.

Série R " Sciences philosophiques, morales et physiques "

Les ouvrages regroupés sous la lettre R "Sciences philosophiques, morales et physiques" du classement Clément sont conservés dans le département "Histoire-Philosophie-Sciences de l'homme". La partie du fonds qui comprend les livres entrés avant 1875 compte 55127 volumes et le nouveau fonds ouvert par Léopold Delisle après 1875 comptait en 1994 216024 volumes. Si la physique constitue une anomalie aujourd'hui dans la répartition des collections entre les départements, son rattachement aux sciences philosophiques et morales s'explique pourtant par son histoire. Appelée " philosophie naturelle " au dix-septième siècle lorsque Nicolas Clément instaura son plan de classement, la physique était considérée comme une partie de la philosophie, divisée dans l'enseignement des collèges jésuites en quatre parties : logique, physique, métaphysique, morale. La philosophie n'est séparée de la science que depuis les dix-neuvième et vingtième siècles mais a joué un rôle fondamental dans l'évolution des théories scientifiques et en particulier de la physique.

La série R mêle donc des ouvrages de philosophie, de physique et de pédagogie. Les ouvrages de physique ont été classés dans la lettre R jusqu'au 14 janvier 1997, date de mise en route de la nouvelle cotation pour les monographies.

En raison des imbrications entre les différentes disciplines on trouve également de l'astronomie et de la chimie dans ces fonds de physique.
Les mémoires de sociétés savantes occupent une grande place dans ce fonds.

Série S " Sciences naturelles "

La lettre S comprend le fonds inventaire (ouvrages entrés jusqu'à 1875) dont les premiers documents remontent au XVIème siècle et le nouveau fonds (ouvrages entrés de 1876 à 1996) soit au total environ 140 000 volumes. Les domaines couverts incluent l'agriculture, la chasse, la pêche, les sciences biologiques y compris la botanique et la zoologie, les sciences de la terre, la paléontologie. Les collections retracent l'histoire de ces disciplines. Elles contiennent évidemment les œuvres des grands naturalistes français, et les textes des principaux auteurs étrangers, résultat d'un effort d'acquisition remarquable. Le botaniste suédois Linné fait par exemple l'objet d'un important fonds comprenant ses œuvres et celles de ses disciples (les thèses de chacun mais aussi les compilations dans les différentes éditions des Amoenitates academicae seu dissertationes variae), auxquelles s'ajoutent les innombrables publications des sociétés linnéennes françaises et étrangères.

Au vingtième siècle avec l'émergence de nouvelles disciplines dans le domaine des sciences de la nature, le fonds s'est enrichi d'ouvrages (principalement français) de génétique, de microbiologie et de biologie moléculaire pour ne citer que quelques uns de ces secteurs. Le fonds constitue un ensemble documentaire d'un intérêt historique et scientifique considérable pour les études actuelles en stratigraphie, sur la biodiversité, ou encore en biologie de l'évolution.

Série T "Sciences médicales"

La Bibliothèque nationale de France possède un fonds inestimable de livres de médecine. En 1990, le nombre d'ouvrages médicaux s'élevait à 250.000 volumes dont 100.000 thèses. Pourtant, ces ouvrages classés sous la lettre T sont mal connus des lecteurs.
Avant le règne de Louis XIV, les ouvrages de médecine sont peu représentés dans les fonds de la Bibliothèque royale. A partir de la seconde moitié du dix-septième siècle les dons et acquisitions remédient à cette situation. Ainsi, une partie de la prestigieuse bibliothèque du chirurgien parisien François Rasse des Neux (1526-1587), largement dispersée après sa mort, est entrée à la Bibliothèque royale au fil des acquisitions. La création de l'Académie royale des sciences qui siégea un temps à la Bibliothèque et la présence de savants dans son personnel, favorisèrent une " politique d'acquisition " accordant une large place aux textes scientifiques et médicaux les plus novateurs. En 1742, le médecin Camille Falconet autorisa les gardes de la Bibliothèque à prélever dans sa collection les ouvrages manquants à l'institution (près de 11.000 volumes).

A la veille de la Révolution, d'après ses anciens catalogues, la Bibliothèque possédait la très grande majorité des ouvrages fondamentaux en médecine.

Ainsi sur les rayonnages du département des Sciences et Techniques, on rencontre des traités d'anatomie célèbres, des ouvrages fondateurs en physiologie mais aussi les textes des grands médecins du 19 siècle, tels Marie-François-Xavier Laënnec, Théophile-René-Hyacinthe Bichat, Claude Bernard et d'innombrables ouvrages moins connus.

A partir de la seconde moitié du dix-septième siècle, plusieurs catalogues manuscrits dus à Nicolas Clément ont inventorié les collections médicales, auxquelles avait été affectée la lettre T. Si la lettre T a bien été conservée, la classification de Nicolas Clément qui s'appuyait sur une répartition géographique, fut remplacée par une nouvelle organisation scientifique au dix-neuvième siècle conçue par Dubois d'Amiens, abordant successivement l'étude du corps humain en bonne santé puis malade, les traitements et la médecine légale(1). La lettre T est subdivisée en huit chapitres eux-mêmes répartis en 605 sections. A partir de 1925, la classification étant devenue obsolète, les livres sont numérotés dans leur ordre d'arrivée par format et le T n'est plus divisé.

Série V "Sciences et arts"

La lettre V, parce qu'elle concerne à la fois les sciences et les arts, a fait l'objet d'un partage : le fonds inventaire (ouvrages entrés jusqu'en 1875), qui compte 55000 volumes sans les recueils, est conservé dans le département Littérature et art; le nouveau fonds (près de 250 000 ouvrages entrés après 1875) a été attribué au département Sciences et techniques. Enfin, en novembre 1994, a été créée la cote V2 pour les beaux-arts. Jusque vers 1840, le fonds a été porté sur des registres et classé selon 16 chapitres : géométrie, mathématiques, optique, astronomie, astrologie, physiognomie, architecture, art militaire, art hydraulique, art nautique, peinture, sculpture, musique, arts mécaniques, etc. A la lettre V se rattachent les recueils de pièces Vp et Vz, soit environ 31 300 pièces. Le nouveau fonds est plus diversifié encore, résultat de l'émergence ou de l'importance croissante de certaines disciplines comme les sciences de l'ingénieur (chemin de fer, bâtiment) et plus généralement les applications des sciences fondamentales (chimie industrielle, microbiologie appliquée). S'y ajoutent la cuisine, les jeux, le sport, et le cinéma.

Thèses

Le fonds des thèses est pluridisciplinaire. Il comprend : les thèses étrangères cataloguées q, qg, THE , Th varia et les thèses françaises scientifiques et médicales.

Pour les thèses étrangères les domaines couverts en priorité sont la médecine, le droit, la philosophie, la théologie et les sciences mais aussi les lettres, la pharmacie, la science politique, l'agriculture et les sciences économiques.

La lettre, la plus importante en nombre de documents, couvre la période 1875-1975. Le classement est fait par format, ville de soutenance et discipline. A partir de 1975 et jusqu'à 1979 les thèses étrangères THE, environ 2267 volumes, sont classées par format et ville de soutenance. Depuis 1980 elles sont reparties dans les séries Clément correspondantes. La plupart des thèses sont allemandes, suisses, belges, autrichiennes, néerlandaises et Scandinaves. Quelques thèses anglaises et nord-américaines font exception. L'ensemble provient des échanges internationaux.

La sous série qg comporte environ 14795 thèses allemandes publiées pendant la guerre 1914-1918.

Le Th varia est un fonds clos d'environ 4529 thèses de médecine étrangères dont les premiers documents remontent au dix-septième siècle, les derniers datant du début du vingtième siècle.

Les thèses françaises scientifiques et médicales sont cotées Th à Tk jusqu'à 1970 puis Thm, Thp, Thv et Ths. Les domaines couverts sont la médecine, la pharmacie, la médecine vétérinaire et les sciences, les dernières cotes remontant à 1985.

Enfin il convient de signaler que le département Sciences et techniques reçoit sous forme de microfiche de l'Atelier national de reproduction des thèses (ANRT) un exemplaire de chaque thèse soutenue en France depuis 1986, à l'exception des thèses de médecine.

Normes

Le département Sciences et techniques conserve l'ensemble des normes.

Les normes publiées par l' AFNOR (Association française de normalisation, créée en 1926) sont reçues à la Bibliothèque nationale de France par dépôt légal depuis 1928. Ces normes portent principalement sur les domaines suivants : sciences de l'ingénieur, matériaux, transports, environnement, bâtiment, produits industriels et de consommation, produits agro-alimentaires, hygiène et sécurité, médecine, santé, sports et loisirs, services, technologies de l'information, documentation.

La BNF reçoit également d'autres normes par dépôt légal direct ou par dépôt de l' AFNOR, qui reçoit les normes internationales et certaines normes étrangères dans le cadre de conventions. On peut citer ainsi les normes et documents techniques de l'Union technique de l'Electricité conservées depuis 1935, les normes ISO de l'International Organization for Standardization, créée en 1947, conservées depuis 1961, et les normes et publications de l'E.T.S.I. (European Télécommunications Standards Institute, Institut européen des normes de télécommunications, créé en 1988) reçues depuis 1996.

2. Le programme de recherche

Les collections scientifiques et techniques de la BNF sont assez peu consultées, elles n'ont fait l'objet que de quelques articles ou rapports de stage. Afin de les valoriser et de les faire connaître plus largement, le Département Sciences et techniques a lancé en 1999 un programme de recherche qui devrait déboucher sur la publication d'un Guide des fonds scientifiques de la BNF.

Les collections retenues dans un premier temps dans notre étude sont celles gérées par le Département, ainsi que les collections de physique, localisés dans la série R. Le programme comprend deux types d'études conduites de manière conjointe : des études thématiques, consacrées à une ou plusieurs disciplines conservées dans les lettres R, S, T et U ou des études plus transverses sur l'histoire des fonds scientifiques. Un groupe de recherche réalise un inventaire des sources concernant l'origine et la constitution des fonds, et étudie l'histoire de la politique documentaire dans le domaine scientifique et technique.

3. La politique documentaire du Département Sciences et techniques

On l'aura compris, le département sciences et techniques n'a pas été créé de toutes pièces dans les années 1990, il s'appuie sur des collections très riches dont la bibliothèque s'est toujours préoccupé. Le dépouillement des registres des procès-verbaux du Conservatoire nous a montré que nos prédécesseurs ont toujours été conscients de l'importance des sciences, bien que cette préoccupation ait souvent été exprimée par défaut, en déplorant le manque de moyens financiers pour suivre le progrès des sciences.

Avec son ambition encyclopédique affichée, la nouvelle politique d'acquisition initiée depuis la création des départements thématiques donne enfin à la Bibliothèque nationale de France les moyens de mettre en valeur ses collections scientifiques, en les confrontant à la production critique étrangère.

Cet encyclopédisme permet désormais aux scientifiques de remettre en perspective leurs propres domaines d'investigation (science et histoire, science et société, science et philosophie, science et art) et de se documenter sur des domaines voisins du leur.

Une charte documentaire a été établie pour chaque discipline, avec l'aide de commissions associant chercheurs des disciplines concernées et bibliothécaires d'autres établissements spécialisés. Les acquéreurs scientifiques ont reconstitué, sans pour autant combler systématiquement les années rétrospectives manquantes, un fonds de recherche actualisé pour la période contemporaine ainsi qu'un fonds de synthèse et d'étude. Les périodiques y tiennent une place privilégiée et des collections entières ont pu être comblées. La politique d'acquisition s'est d'emblée inscrite dans un souci de partage documentaire avec d'autres établissements de recherche.

Le Département Sciences et techniques collabore ainsi avec quinze pôles associés, choisis pour leur excellence dans certains domaines :

Les collections en libre accès du Département Sciences et techniques recouvrent l'ensemble des disciplines scientifiques fondamentales et appliquées, ainsi que l'histoire des sciences et des techniques. Elles ont repérées par la classification Dewey.

Dans la salle du Haut-de-jardin destinée au grand public (salle C) ces collections constituent, pour le scientifique comme pour l'"honnête homme" du vingt et unième siècle, une solide introduction au savoir scientifique et technique contemporain ainsi qu'à son histoire. Une sélection de titres représentatifs de la production éditoriale française et internationale permet une approche des travaux des grandes figures de la science, des avancées de la recherche actuelle et de ses problématiques, des applications industrielles indissociables de chaque discipline. Ces collections rassemblent aujourd'hui 34 000 ouvrages (50 000 à terme) et 480 titres de périodiques.

Une importante collection de microformes (monographies et plus de 50 000 thèses scientifiques récentes) et de cartes géologiques est aussi mise à disposition dans cette salle. Certaines disciplines de la salle C sont également représentées dans les autres départements de la Bibliothèque nationale de France : la sociologie des sciences, la philosophie des sciences et la psychologie.

Dans les salles du Rez-de-jardin réservées aux chercheurs (salles R et S) 43 500 monographies et plus de 2 000 titres de périodiques (à terme, 72 000 monographies) recouvrent l'ensemble des disciplines scientifiques, techniques et médicales ainsi que l'histoire de ces disciplines. Elles permettent d'effectuer dans un même lieu des recherches croisées entre différents domaines.

Elles regroupent les documents de référence (dictionnaires, encyclopédies, bibliographies) ainsi que les documents les plus récents ou les plus représentatifs des divers aspects de la recherche scientifique. La documentation étrangère, majoritairement anglo-saxonne, a été privilégiée afin de compléter les collections en langue française qui se trouvent en magasins. L'importante collection de périodiques, sous forme papier ou sous forme électronique permet de suivre l'actualité de la recherche. Enfin, les bibliographies internationales les plus importantes dans les domaines scientifiques sont disponibles sous formes papier, cédéroms ou en ligne sur Internet.

La documentation électronique est particulièrement privilégiée dans le Département Sciences et techniques qui propose plus de 1100 titres de périodiques électroniques (environ 1700 pour l'ensemble de la BNF).

Le département participe au signalement des ressources Internet en maintenant une liste commentée de sites remarquables dans les différentes disciplines(2).




BIBLIOGRAPHIE

Fuentes, Eva et Karvar, Anousheh. " Les fonds scientifiques imprimés de la Bibliothèque nationale de France ", Actes du colloque La mémoire de la science, 27 juin 2000, Cité des sciences et de l'industrie (à paraître)

Lemaire, Alice. Les livres de physique conservés à la BNF : un exemple des problèmes posés par la nouvelle organisation des collections. Rapport de stage. Diplôme de conservateur de bibliothèque, ENSSIB, 1995.

Pasquignon, Anne. " Les sciences médicales dans les catalogues de livres imprimés à la BN ", Revue de la Bibliothèque nationale, n°36, 1990.

Petit, Catherine et Tesnière, Valérie. " Retour sur la politique d'acquisition ", Revue de la Bibliothèque nationale de France, n°l, 1999.

Pollet, Joël. Hamilton, Gibbs, Clausius et les autres : la physique dans les collections de la BNF. Mémoire d'étude. Diplôme de conservateur de bibliothèque, ENSSIB, 2000.

Prévost, Marie-Laure. " Les fonds scientifiques à la Bibliothèque nationale de France. Un exemple : le fonds Pasteur ", Sciences et archives contemporaines, Les Cahiers de l'Ecole nationale du patrimoine n°3, Paris, 1999

Raccah, Philippe. " L'espace sciences et techniques à la Bibliothèque nationale de France ", Bulletin des bibliothèques de France, t. 42, n°6, 1997.

Renier, Nathalie. " Grands livres scientifiques et techniques ", Art et métiers du livre, n° spécial : La Réserve des livres imprimés de la Bibliothèque nationale, 1993.




NOTES ET REFERENCES

(1) Bibliothèque impériale. Département des imprimés. Catalogue des sciences médicales, sous la dir. de M. Dubois d'Amiens. Paris, Firmin-Didot, 1858-1859, 3 vols.

(2)Les Signets de la BNF, http://www.bnf.fr/pages/liens

Document mis sur le web en 2007 par Laurent Blaque et Robert Mahl, Ecole des mines de Paris, CRI.