La SABIX
Bulletins déja publiés
Sommaire du bulletin n. 30
 

EDITORIAL

Autour d'Auguste Comte

par Christian Marbach

Le présent bulletin de la SABIX porte essentiellement sur Auguste Comte, et propose un certain nombre de points de vue sur sa vie, son œuvre, son influence. Il doit beaucoup à Bruno Gentil, grand spécialiste de Comte et président de la « Maison d'Auguste Comte », une association internationale qui a pour vocation la présentation d'un « lieu de mémoire » et, par sa bibliothèque, la diffusion de travaux et de réflexions. Il est également l'un des fruits du colloque qui s'est tenu à Cerisy en juillet 2001 sous la direction de Michel Bourdeau, Jean-François Brunstein et Annie Petit. La SABIX a d'ailleurs contribué à la tenue de cette excellente rencontre intitulée : « Auguste Comte aujourd'hui ».

Je ne doute pas que tous les adhérents de notre société connaissent le nom d'Auguste Comte et savent « en gros » qu'il s'agit d'un philosophe fondateur du positivisme.

Ceux qui, polytechniciens, ont lu les deux articles de la Jaune et la Rouge (juin-juillet 1998 et janvier 1999) où, à l'occasion du bicentenaire de sa naissance (19 janvier 1798), Bruno Gentil faisait l'« Eloge d' Auguste Comte » ont pu y approfondir leur connaissance sur leur « camarade » cet « inconnu célèbre » comme l'appelle Juliette Grange. C'est également pour cause de bicentenaire - une bonne cause assurément - que certains colloques se sont tenus récemment, et tout particulièrement celui de Cerisy, ou sont envisagés, comme celui auquel travaille l'UNESCO et dont l'architecture éventuelle est explicitée dans ce bulletin.

Dépassant l'aspect historique, au demeurant indispensable dans la mesure où la pensée d'Auguste Comte s'est développée dans une époque de grands bouleversements politiques, mais aussi, scientifiques, techniques et économiques, ces colloques se sont surtout penchés sur l'influence que le philosophe a exercée, en particulier vers la fin du XIXeme siècle, sur tous les continents.

Je peux moi-même apporter un modeste témoignage, d'abord anecdotique. Il y a cinquante ans, Auguste Comte était pour moi un philosophe français, oui, mais mon savoir s'arrêtait à cette affirmation de mini-dictionnaire. C'était aussi une statue place de la Sorbonne, j'y donnais des rendez-vous qui m'étaient chers, prolongés au jardin du Luxembourg et parfois jusqu'à une rue « Auguste Comte ».

Bien des années plus tard, à l'Anvar ou à la Cité des sciences et de l'industrie, j'ai eu à imaginer et à mettre en place des systèmes de diffusion de la culture scientifique et technique. Vers les entreprises bien sûr, pour les aider à mettre en œuvre des progrès technologiques. Vers les enseignants et les enseignés, aussi, en amont. Je rejoignais là, d'abord sans le savoir, puis avec la volonté d'en savoir plus sur lui, l'une des pensées permanentes d'Auguste Comte, la nécessité d'une « éducation populaire » qu'il a par exemple promue par la création de « l'Association polytechnique », par la tenue de ses cours d'astronomie dans les enceintes des mairies parisiennes, etc. C'est dans ce mouvement que furent imprimés, plus tard, ces ouvrages aux multiples éditions de la fin du XIXeme que connaissent bien les bibliophiles ; les aperçus d' « Astronomie populaire » de Flammarion, les « Merveilles de la Science » de Figuier, les innombrables éditions de l'« Histoire naturelle » de Buffon et aussi les Jules Verne et bien d'autres écrivains pris en charge par l'éditeur Hetzel. Disons pour être simple, qu'en affirmant le nécessaire accroissement de la culture scientifique, je ne faisais alors que rejoindre Auguste Comte sans trop le savoir, puis en le sachant. Quand, bien plus tard, mes activités professionnelles m'ont amené à prendre physiquement connaissance du Brésil et à effectuer de très nombreux déplacements à Rio de Janeiro, j'ai constaté qu'Auguste Comte était aussi une référence pour les conversations avec des amis brésiliens plus intéressés que les français par cet homme et sa pensée.

J'ai donc visité à Rio le « Templo da Humanidade » avec Benjamin Constant (ce Constant là, un philosophe, n'a rien à voir avec l'autre, l'auteur d'« Adolphe », l'épisodique amant de madame de Staël). J'y ai vu entre autres la statue de Clotilde, la muse inspiratrice d'Auguste, mais aussi sur la façade du temple, ces maximes : « l'amour pour principe et l'ordre pour fondement ; vivre pour les autres » et surtout cet extraordinaire « ordem y progresso » , ordre et progrès, que l'Etat brésilien a décidé de broder sur son drapeau national, en ceinture équatoriale d'un globe bleu sur losange blanc jaune, le tout sur fond vert . Tous les amateurs de football ont vu agiter ce drapeau sur les stades « ordre et progrès » ! Savent-ils que cette maxime, avant d'être une devise évidente pour équipe de football (une bonne organisation sur le terrain et un réel dynamisme spontané en attaque) a été proposée par un polytechnicien ?

Ainsi, par des voies détournées, Auguste Comte m'était devenu plus familier. Les réflexions du bicentenaire de la fondation de l'Ecole polytechnique ont permis de remettre en avant le « sociologue de l'unité humaine et sociale » - je cite là Raymond Aron lui-même cité par Thierry de Montbrial dans son excellent discours fait à cette occasion, sur l'Ecole polytechnique et les Sciences de l'action.

Enfin comme je l'ai déjà rappelé, le propre bicentenaire de Comte a permis la sortie d'ouvrages, la tenue de colloques, et pour la SABIX une collaboration plus intensive avec la « Maison d'Auguste Comte » et son président.

Les lecteurs de ce bulletin ne seront pas surpris si les divers regards qui leur sont proposés reviennent essentiellement sur trois thèmes. D'abord l'histoire au moins par le biais de la Maison elle-même, appartement devenu temple disputé, puis bibliothèque rayonnante grâce à quelques personnalités. Ce furent d'abord les «apôtres » proches puis les disciples plus lointains et en particulier le brésilien E. de Berredo Carneiro dont Bruno Gentil nous trace aussi le portrait « missionnaire ».

Puis la postérité d'Auguste Comte. Par le résumé du colloque de Cerisy que nous devons à Michel Bourdeau nous voyons la pensée comtienne imprégner la réflexion politique au Japon comme au Brésil. Juliette Grange montre comment on peut puiser dans l'œuvre de Comte des concepts qui permettent de poser d'une manière neuve et radicale des problèmes d'aujourd'hui, touchant notamment aux rapports entre la science et l'industrie, aux relations entre technique et société, à la politique industrielle et au degré d'autonomie de la recherche fondamentale. Jean Dhombres dans son commentaire sur le Traité de géométrie analytique publié en 1843, met en lumière l'effort de Comte pour réconcilier la géométrie et l'analytique. Pour ce spécialiste de l'histoire des mathématiques, le traité de Comte, s'il n'a jamais été un manuel d'enseignement, a cependant influencé fortement et durablement les professeurs de mathématiques.

Enfin Claudine Billoux, qui veille avec soin sur les archives de la bibliothèque, expose les conditions dans lesquelles l'Ecole polytechnique a reçu en 1981 un fonds se rapportant à Auguste Comte, dont elle donne une brève description.


En complément de ces articles orientés vers l'héritage d'Auguste Comte, nos lecteurs trouveront dans cette livraison un texte, concis et dense, qui s'adresse à tous ceux qui aiment l'écrit, et particulièrement à ceux que passionne la question de la transmission de la pensée à travers les civilisations successives. Nous le devons à Alexandre Mallat, ami de la bibliothèque, adepte de la Raison et bibliophile passionné. Il détient un manuscrit du XVe siècle portant la traduction en hébreu d'un commentaire de la Physique d'Aristote, rédigé en arabe par Averroès. En présentant ce manuscrit, Alexandre Mallat évoque en quelques lignes le cheminement qui a permis à la Renaissance occidentale de recueillir les concepts fondateurs de la philosophie grecque, grâce à une chaîne d'hommes érudits, tolérants, et animés par l'amour de la rationalité. Un grand merci à l'auteur pour cette manifestation d'intérêt pour la SABIX ! Et un grand merci à Bruno Gentil pour sa collaboration à l'architecture de ce bulletin exceptionnel.

Le Président de la SABIX,