La SABIX
Bulletins déja publiés
Sommaire du bulletin 35
 

Visite de curiosité à la Société Nationale de Sauvetage en mer

par Christian Marbach

La Société Nationale de Sauvetage en mer (SNSM) a été officiellement créée sous forme d'association « Loi de 1901 » en 1967 et reconnue d'utilité publique le 30 avril 1970, mais cette « naissance » est en fait une « renaissance » et correspond à la fusion de la Société des hospitaliers et sauveteurs de Bretagne, et de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés. C'est cette dernière dont Rigault de Genouilly appuya la création ; il en fut, en 1865, le premier président.

Depuis cette date, donc depuis presque 140 ans, la Société édite et diffuse, plusieurs fois par an, (deux, puis très vite quatre fois) des bulletins dont l'ensemble constitue les Annales de la Société. La collection complète peut être consultée à son siège, dans un petit immeuble de la cité d'Antin, entre Trinité et Lafayette. Les toutes premières « Annales du Sauvetage » (c'était leur nom) furent éditées chez Arthus Bertrand : les bibliophiles savent que cette maison était spécialisée dans l'édition scientifique et que de nombreux récits de voyage, agrémentés d'illustrations regroupées en Atlas, portent sa signature prestigieuse.

A la lecture de ces Annales, on trouve assez facilement des lignes de force montrant bien le domaine traité par les Annales et l'objectif poursuivi.

D'abord, l'Association y raconte sa vie. Les Annales comprennent donc des actes administratifs, décrets, statuts, procès-verbaux de conseils et comités, compte rendus d'Assemblées Générales ; aussi, les indications précises sur l'organisation régionale, la création des bases qui permettent de remplir la mission. Cette histoire comporte, en parallèle, son volet financier : présentation pour approbation des comptes, mais aussi liste des souscripteurs dont certains sont des grands noms, mais je suppose qu'y figurent aussi des donateurs plus modestes même si l'époque ne connaissait pas le « certificat de déductibilité fiscale » contemporain.

J'ai bien sûr lu avec un intérêt soutenu deux discours d'Assemblée Générale. Celui de la création et celui de 1873, car l'Assemblée Générale y fut l'occasion de l'hommage rendu à Rigault de Genouilly décédé quelques semaines plus tôt. Cette notice nécrologique est dans le style de l'époque, cohérente avec les funérailles solennelles aux Invalides, sympathique avec l'Ecole Polytechnique dont il fut l'écho (« cette pépinière de tant d'hommes distingués »), précise sur les commandements successifs, louangeuse sur ses actions et son caractère.

Mais dès la création, on justifie le choix de l'amiral, en 1865, par la nécessité de trouver « un nom respecté et illustre qui vînt constater, en acceptant la présidence que l'œuvre était sérieuse et grande ».

Les Annales proposent aussi de très nombreuses indications technologiques. Très vite, des chapitres entiers et denses y sont consacrés aux produits et techniques utiles aux sauvetages : la forme des canots est analysée, les éclairages des phares présentés, les procédés de va et vient disséqués, le retour d'expérience utilisé après des incidents. L'utilité des transferts de technologie n'est pas oubliée et l'Exposition Universelle de 1867 est une excellente occasion de comparer les matériels, d'en afficher la modernité et donc d'inciter de généreux mécènes à souscrire. Ces textes sont souvent accompagnés de belles gravures sur cuivre. Je ne suis pas sûr que les photographies des numéros actuels soient plus éloquentes.

Régulièrement figurent des données météorologiques, avec une insistance « naturelle » sur les situations les plus exceptionnelles.

Des chroniques relatent avec précision les naufrages survenus, les moyens de sauvetage mis en œuvre, les résultats des actions entreprises et les leçons à en tirer. Le premier numéro des Annales décrit ainsi, en langage dramatique, le difficile sauvetage d'un navire en face de Bône dans la nuit du 16 novembre 1866, et le désespoir des acteurs, naufragés, sauveteurs ou spectateurs, devant l'insuccès partiel des tentatives de sauvetage. Bien d'autres récits suivront, d'abord pour évoquer les bateaux de pêche en difficulté, puis, quelques décennies plus tard les plaisanciers ou nageurs imprudents ou malheureux. Des statistiques complètent les narrations ; les noms des acteurs sont donnés très souvent : on me dit que les Français intéressés par la généalogie viennent vérifier dans les Annales le pourquoi de la médaille de sauvetage d'un arrière-grand-oncle ou les circonstances du décès d'un parent.

J'ajoute qu'un long article sur « les naufrageurs », paru en 1867, m'a rappelé des films d'aventure style « Frisson » ou « Action » : c'était paraît-il des mœurs d'un autre âge...

Les Annales font aussi leur « bench marking », avec des analyses institutionnelles précises entre les structures mises en place dans d'autres pays. Le premier système étudié est bien sûr celui de l'Angleterre, considéré comme une référence avec ses professionnels et ses « life boats ». Mais d'autres pays sont visités, Danemark, Suède, etc..La Chine fait l'objet, dès 1867, d'un ensemble d'articles où la description de la structure administrative est colorée de savoureuses notations sur cette civilisation exotique : Rigault de Genouilly à dû apprécier...

La lecture des Annales est aussi l'occasion de rencontrer des personnages illustres, et avant de revenir à l'Amiral-Président, je souhaite en citer quelques autres qui jouèrent un rôle majeur dans le lancement de la Société.

L'Empereur, d'abord, et l'Impératrice. C'est l'Empereur qui signa, à Compiègne le 16 novembre 1865, le décret impérial créant la Société et lui conférant « l'existence civile ».

L'Impératrice, ensuite, et pas seulement parce que, avec son époux, elle offrit les deux premiers canots nécessaires à l'œuvre. Mais aussi pour son patronage, ainsi expliqué dans le premier discours de la première Assemblée Générale : « L'Auguste Majesté, qui rapproche d'Elle toutes les souffrances et toutes les misères afin qu'aucun n'échappe à sa vigilance maternelle, et fait des marches du Trône rayonner les figures de la charité, a donné à notre œuvre la plus haute considération en nous autorisant à la placer sous son bienveillant patronage ». On est loin du style d'Aimé Jacquet ou de David Douillet expliquant leur joie de travailler avec Madame Chirac...

Ensuite, Léonce Reynaud, le grand Reynaud du Service des Phares ; ce polytechnicien 1821 est le principal personnage du livre de Vincent Guigueno évoqué par ailleurs dans ce bulletin ; il témoigne par sa présence de la juste complémentarité des ingénieurs constructeurs de phares et des marins pour prévenir les naufrages ou en atténuer les conséquences.

Puis, quelques marins, comme La Roncière qui succéda à Rigault après sa mort. Aussi, présence intéressante à ce stade, Théodore Gudin qui sera même, pendant quelque temps, vice-président de la Société. Gudin est un peintre de « marines », il fut même le premier peintre « officiel » de la marine, titre qu'il étrenna lors de l'Expédition d'Alger en 1830 où, avec ses compères Isabey et Gilbert il joua les photoreporters ou les cameramen de CNN pour illustrer le « choc des images » l'écume des mers déchaînées, la fumée des bombardements, la confusion des manœuvres et l'éclat des victoires. Gudin (1802-1880) eut son heure de gloire, il fréquenta les meilleurs peintres de l'époque sur les plages de Normandie, il voyagea en Amérique, on trouve ses œuvres dans divers musées : Gudin est aujourd'hui oublié alors que ses tableaux ne manquent pas de panache, on en voit trois ou quatre de très grand format au Musée de la Marine, et son rôle à la SCSN est digne d'estime.

Il nous faut bien sûr terminer cette visite à la SNSM et cet examen de ses Annales en revenant à Rigault de Genouilly. Dans le discours panégyrique que l'Assemblée Générale de l'Association écoute, après son décès, on explique avec réalisme les raisons de sa nomination à la tête de la Société :

« Dès qu'un nombre suffisant de fondateurs, vous le savez, eut été réuni pour former le noyau d'un comité, notre premier soin fut de nous donner un chef qui, par son nom, par son autorité, par l'éclat de ses services, pût imprimer à la Société le caractère sérieux, élevé et désintéressé qui appartenait à une institution de cette nature. La pensée de tous fut unanime pour faire choix de l'amiral ; et notre instinct pour ce choix nous avait sûrement guidés, messieurs, car vous avez pu apprécier la direction active, réfléchie, efficace qu'il nous a donnée, non moins que les privilèges que sa puissante influence a su nous faire accorder ».

Le caractère de notre Amiral-Ministre, bien décrit par Etienne Taillemite, se retrouve aussi en trois dimensions dans le buste qui fut sculpté par Lequien en 1866 et que la SNSM a pu récupérer en 1987 à l'occasion d'une vente aux enchères. Il s'agit d'un buste en marbre de Carrare, avec grand uniforme, épaulette, étoiles et décorations. Comme dit l'article des Annales qui décrit l'œuvre, « le ciseau du sculpteur a parfaitement saisi son sujet ; tête impérieuse, regard à la fois distant, pénétrant et charmeur, longue chevelure soignée qui porte la marque de cet homme raffiné. La somptuosité de l'uniforme et de la draperie qui le recouvre rappellent discrètement le goût du faste dont l'Amiral aimait à s'entourer ».

Nous espérons que ce bulletin SABIX numéro 35, où il est entouré d'un cortège d'autres hommes illustres, lui paraîtrait digne de lui.


Naufrage de la Meuse au large des côtes de Cornouaille, décembre 1850
L'Illustration, année 1850 archives Ecole polytechnique



La ville de Paris, Vaisseau de premier rang lancé à Rochefort en 1850, commandé par Rigault de Genouilly en 1854. Ce navire reçut une machine à vapeur en 1857.
Archives du Musée national de la Marine