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Biographies polytechniciennes
 

Arthur MORIN (1795-1880)

Ce texte a été publié dans le Livre du Centenaire de l'Ecole polytechnique, 1897.

Arthur Morin, né à Paris le 17 octobre 1795, appartenait à une famille aisée de négociants. Avant d'entrer à Sainte-Barbe, où il acheva ses études, il avait passé plusieurs années à Florence, avec sa mère devenue dame d'honneur de la princesse Élisa.

Admis à l'Ecole Polytechnique en 1813, c'est-à-dire à 18 ans, dans un très bon rang, Morin eut à traverser, avec ses camarades, les douloureuses épreuves des événements de 1814 et de 1815. En 1814, il eut du moins l'honneur de prendre part à la défense de Paris ; mais, après avoir été ménagé, en 1815, au moment où une réaction politique aveugle obligeait un assez grand nombre de ses camarades à donner leur démission, il avait été compris dans le licenciement d'avril 1816 et avait dû chercher une position dans l'industrie.

Il était ainsi employé à la papeterie d'Essonnes, quand le gouvernement de la Restauration, mieux inspiré, s'avisa en octobre 1817 de rappeler plusieurs des élèves licenciés, après leur avoir fait toutefois subir de nouveaux examens. Morin était du nombre de ces graciés et fut classé le second de sa promotion dans le service de l'Artillerie de terre. A la fin de la même année, il était envoyé à l'École d'application de Metz en qualité d'élève-sous-lieutenant.

Nous ne suivrons pas le jeune officier dans ses emplois successifs et dans ses garnisons, mais nous devons signaler sa belle conduite au siège de la Seu d'Urgel en 1823, qui lui valut les éloges du Maréchal duc de Conegliano. Il avait montré là, en effet, les plus rares qualités de bravoure, d'initiative et de présence d'esprit.

Après la campagne d'Espagne, le lieutenant Morin servit successivement dans un régiment d'artillerie à pied et au bataillon des pontonniers à Strasbourg et se fit, dès cette époque, remarquer par une étude sur les roues hydrauliques. On lui confia même la mission de visiter les principales fonderies de l'Artillerie pour y comparer les différents moteurs qui y étaient employés.

Nommé capitaine en janvier 1829, Morin était attaché le mois suivant à l'Ecole d'application de Metz en qualité d'adjoint au professeur de machines, qui n'était autre que Poncelet.

On peut dire que la véritable carrière de Morin date de cette époque. Les six années qu'il passa à coté de Poncelet furent, en effet, pour lui non seulement une occasion précieuse de s'initier aux excellentes méthodes d'un maître incomparable, mais aussi d'entreprendre, pour son propre compte, des expériences au cours desquelles il déploya de rares facultés d'observation et une grande persévérance à poursuivre jusqu'au bout des recherches délicates.

C'est ainsi que, de 1831 à 1834, il reprit les études de Coulomb relatives au frottement, en se servant de méthodes d'observation et d'appareils perfectionnés dans lesquels on voit déjà apparaître le principe de l'enregistrement automatique des mouvements variés composés de celui qu'il s'agit d'étudier et du mouvement circulaire d'un plateau métallique recouvert de papier sur lequel un style trace, enregistre les courbes résultantes des deux mouvements.

Ce principe, plus ou moins modifié, dont il était redevable à Poncelet, comme il n'a jamais manqué de le reconnaître, a joué un rôle considérable dans les travaux de Morin; on le retrouve, en effet, dans l'appareil à cylindre et à style destiné à démontrer la loi de la chute des corps et qui est devenu aussi populaire que la machine d'Atwood, et dans d'autres encore propres à l'observation du mouvement, en général; enfin dans les dynamomètres à ressort dont nous parlerons un peu plus loin. [Il convient de rappeler que le principe des enregistreurs est d'ailleurs beaucoup plus ancien. On le trouve appliqué notamment dans un anémomètre de d'Onsen-Bray que possède le Conservatoire des Arts et Métiers et qui remonte à 1734].

Tout en secondant Poncelet, dont il rédigea même en partie les leçons autographiées, et après avoir achevé ses études sur le frottement, Morin, associé à Piobert, son camarade de promotion déjà célèbre, et à Didion, autre officier d'artillerie distingué, entreprit en 1835 des séries d'expériences ayant pour but de déterminer la loi de la pénétration des projectiles dans les milieux résistants, celles de la résistance des milieux solides et mous à la pénétration et au mouvement des projectiles, enfin les lois de la résistance des liquides et des fluides élastiques, en général, au mouvement des corps de diverses formes.

Pour quelques-unes de ces importantes recherches et aussi pour déterminer les vitesses initiales des projectiles des canons et obusiers jusqu'à celles de 660 mètres par seconde, Piobert et Morin avaient fait construire antérieurement des pendules balistiques et des canons-pendules plus perfectionnés que ceux de l'Anglais Robins. Le système de ces deux pendules, pouvant servir aux épreuves des poudres, avait été établi dans les principales poudreries de l'Etat.

Au nombre des expériences qui rentrent dans le même ordre d'idées, c'est-à-dire destinées à l'étude de la résistance des milieux au mouvement de corps de diverses formes, Morin avait personnellement poursuivi pendant de longues années, de 1828 à 1834 d'abord et plus tard de 1838 à 1840, celles qui intéressaient plus particulièrement l'Hydraulique et il était parvenu à des résultats très nets, propres à guider les constructeurs dans l'établissement des roues des différents genres et même des turbines.

L'Académie des Sciences avait donné sa haute approbation à cet important travail et elle ne tarda pas à l'accorder à ceux dont il nous reste à dire quelques mots et qui se rapportent au tirage des voitures ainsi qu'aux effets destructeurs qu'elles produisent sur les routes.

Les expériences variées qu'il fallut exécuter pour répondre à toutes les questions dont il s'agissait, entreprises à Metz en 1837 et continuées aux environs de Paris de 1839 à 1842, intéressaient à la fois la Guerre, l'Agriculture et les Travaux publics; elles ont été faites sous le patronage des deux ministères.

Leur point de départ était la loi sur le rapport du tirage à la charge due à Coulomb et leurs résultats ont servi de base en 1842 au projet d'une loi d'utilité publique, destiné à rectifier des réglementations établies en vertu de préjugés dont l'inexactitude se trouvait démontrée. Les mesures de l'effort dans les diverses circonstances où l'on opérait pour embrasser tous les cas de la pratique étaient faites au moyen du dynamomètre de traction à ressort dont l'idée, empruntée au peson ordinaire, remontait à la fin du siècle dernier, mais qui avait reçu, de Poncelet d'abord et en dernier lieu de Morin, des perfectionnements tels qu'il était devenu, entre les mains de ce dernier, un véritable appareil de précision. En en variant les dispositions, avec l'aide d'un très habile artiste nommé Clair, Morin est parvenu à faire de cet engin un dynamomètre universel se pliant à tous les besoins de la pratique et pouvant être substitué avantageusement à tous les autres.

Appliqué à l'étude du halage des bateaux et du travail des charrues aussi bien qu'à celle du tirage des voitures, le dynamomètre, sous une forme ou sous une autre, avait conduit à d'importantes conséquences; appliqué à la recherche du rendement des machines, les résultats qu'il a fournis ont sûrement contribué à éclairer les constructeurs et à leur inspirer d'utiles perfectionnements.

Tels sont les principaux titres scientifiques de Morin, auxquels il faut encore ajouter ses longues et patientes études sur le chauffage et la ventilation des lieux habités ou fréquentés par un grand nombre de personnes à la fois. Il en a d'une autre nature, qui le recommandent également à la reconnaissance publique.

Comme professeur à l'École d'application de Metz, en remplacement de Poncelet, de 1835 à 1839, comme professeur de Mécanique appliquée aux Arts, au Conservatoire des Arts et Métiers, enfin comme administrateur et directeur de ce grand établissement pendant près de trente ans, jusqu'à sa mort survenue en février 1880, Morin a occupé une place considérable à côté des créateurs de l'enseignement des sciences appliquées. Il a rempli d'ailleurs un rôle non moins important, en ne cessant d'appeler l'attention des pouvoirs publics et celle des intéressés, c'est-à-dire des industriels et des ouvriers de toutes les professions qui ont besoin de recourir aux lumières de la Science, sur la nécessité de répandre et de développer cet enseignement le plus largement possible.

Le Conservatoire des Arts et Métiers, en particulier, ne saurait oublier qu'il lui doit de nombreuses améliorations matérielles, un accroissement considérable de ses collections, la création de plusieurs cours et, enfin et surtout, l'organisation du premier laboratoire de Mécanique industrielle, dans laquelle il fut beaucoup aidé par son dévoué collaborateur Tresca et qui a servi de modèle à toutes les entreprises semblables faites plus tard dans le monde entier.

Pour compléter l'énumération des services rendus par Morin à l'enseignement technique et même à l'enseignement élémentaire, il faudrait rappeler qu'il a publié des leçons et un aide-mémoire très estimé de Mécanique, formant en tout six volumes in-8° qui ont eu plusieurs éditions, qu'il n'a cessé de travailler au perfectionnement des études dans les Ecoles d'Arts et Métiers, enfin qu'on lui doit un rapport lumineux sur l'enseignement primaire et industriel en Allemagne, à la suite d'une mission dont il avait été chargé avec Perdonnet.

D'autres missions importantes lui avaient été confiées par le Ministre de la Guerre dans l'intérêt de l'arme à laquelle il appartenait et même de l'Administration militaire en général, et il s'en était toujours acquitté à la complète satisfaction du Ministre et au grand profit de l'État.

Il était donc très estimé dans son corps et pourtant, pendant longtemps, il fut loin d'être favorisé dans son avancement. Capitaine à 34 ans, il avait été nommé chef d'escadron à 46 ans et lieutenant-colonel à 51 ans; c'est dans ce grade qu'il fut élu membre de la section de Mécanique à l'Académie des Sciences en 1847 ; la Révolution de 1848 parait l'avoir aidé à arriver plus vite au grade de colonel et, sous l'Empire, il franchit assez rapidement le grade de général de brigade et parvint à celui de général de division.

Pour permettre ce dernier avancement, le général Morin avait été appelé en 1854 au commandement de l'Artillerie du camp du Nord et chargé un peu plus tard d'une inspection générale en Algérie, sa position de directeur du Conservatoire lui étant réservée et l'intérim confié à l'ingénieur Tresca. La retraite comme officier général l'atteignit en 1860, c'est-à-dire dix ans avant la guerre franco-allemande; il ne resta cependant pas inactif pendant le siège de Paris et mit sa grande expérience au service du groupe d'ingénieurs civils appelés par Tresca au Conservatoire pour y organiser la construction d'un important matériel d'artillerie.

Les dernières années de la vie du général Morin, indépendamment de la réédition de ses ouvrages et de la poursuite de ses travaux sur le chauffage et la ventilation, furent consacrées en grande partie à préparer et à faire aboutir l'accord si longtemps désiré entre la plupart des grands pays pour l'adoption du système métrique décimal.

Morin a donc été à la fois un inventeur, un expérimentateur et un vulgarisateur très pénétré de l'importance pratique des progrès des différentes branches de la Science; il n'a jamais perdu de vue, en s'occupant d'applications industrielles, qu'il avait l'honneur d'appartenir à l'armée et n'a cessé de donner, en toutes circonstances, des preuves de son patriotisme éclairé et de son désintéressement.

A. Laussedat.