La SABIX
Bulletins déja publiés
Biographies polytechniciennes
 

Pierre-Laurent WANTZEL (1814-1848)

Ce texte a été publié dans le Livre du Centenaire de l'Ecole polytechnique, 1897.

Wantzel, au regard de la foule, est un oublié. Une mort prématurée n'a pas permis qu'il fût de l'Institut, où sa place était marquée. Au lendemain de cette mort, M. de Saint-Venant lui a consacré, dans les Annales de Terquem et Gerono, quelques pages émues ; mais aucun dictionnaire biographique n'a jugé bon de recueillir celle notice ; les camarades de Wantzel ont, pour la plupart, disparu de ce monde, et aujourd'hui les mathématiciens sont seuls à savoir quelles magnifiques espérances donnaient les débuts de ce géomètre, qui a laissé à l'Ecole Polytechnique et dans la science une trace lumineuse, malheureusement trop semblable à celle que dessinent au ciel les météores aussitôt évanouis qu'entrevus.

Né le 5 juin 1814, Pierre-Laurent Wantzel fut tout simplement élevé chez un instituteur primaire. A douze ans, il entrait à l'Ecole des Arts et Métiers de Chàlons, où il montra de telles dispositions pour les Mathématiques que ses maîtres l'envoyèrent en 1828 à Paris. Il y suivit les cours du collège Charlemagne et, dès 1829, Reynaud l'appréciait assez, non seulement pour lui confier la correction des épreuves d'une nouvelle édition de son Arithmétique, mais pour y introduire, à propos de la racine carrée, une démonstration suggérée parle jeune correcteur. En 1831, le premier prix de dissertation française, obtenu à Charlemagne, et mieux encore le prix de dissertation latine, conquis au concours général, attestaient avec éclat l'universalité des aptitudes de Wantzel. L'année suivante, après des succès de même valeur, remportés dans l'ordre des sciences, il entrait à dix-huit ans le premier à l'Ecole Polytechnique, éblouissant ses camarades par la supériorité de son esprit, comme il les charmait par la franchise et la noblesse de son caractère. Rarement un élève laissa de plus brillants souvenirs. Avoir été « de la promotion de Wantzel » était une sorte de lustre dont on aimait à se parer.

Le dessin, dont il n'avait pas grand souci, l'empêcha de garder son rang d'entrée. Il devint néanmoins élève-ingénieur des Ponts et Chaussées, et demanda un congé en 1837, pour se livrer exclusivement à la science. Tout en accédant à ce désir, le directeur général, M. Legrand, était trop clairvoyant pour ne pas retenir dans le corps un homme de cette valeur; aussi le nommait-il ingénieur en 1840, pour rattacher en 1844 à l'École des Ponts et Chaussées, en qualité de répétiteur de Mécanique appliquée. Mais auparavant l'Ecole Polytechnique avait accueilli Wantzel, en 1838, comme répétiteur d'Analyse. Il se chargeait aussi de cours spéciaux dans diverses institutions préparatoires et devenait, en 1843, examinateur d'admission, bientôt renommé pour l'éclatante supériorité avec laquelle il remplissait ces fonctions, comme il l'était ailleurs pour la lucidité et le brillant de son exposition.

La première publication de Wantzel, antérieure à son entrée à l'Ecole, est de 1831, et concerne les théorèmes relatifs aux radicaux. Ensuite parurent, en 1837, des recherches sur la résolution des problèmes de Géométrie. Il y prouvait, pour la première fois, l'impossibilité (déjà affirmée, mais non démontrée, par Gauss) d'obtenir, par la règle et le compas, soit la duplication du cube, soit la trisection de l'angle. On lui doit encore un mémoire sur la courbure des verges élastiques, divers travaux sur l'écoulement de l'air, poursuivis de concert avec M. de Saint-Venant; enfin, en 1848, un important mémoire posthume sur les diamètres rectilignes des courbes quelconques. C'est lui qui, le premier, a donné l'intégration des équations différentielles de la courbe élastique.

Mais le chef-d'œuvre de Wantzel est son travail sur les nombres incommensurables, étude admirable par la simplicité et la clarté de la méthode, comme par la beauté des résultats obtenus. C'est là vraiment qu'il a donné la mesure exacte de ce qu'il était permis d'attendre de lui. Malheureusement Wantzel n'a pas su concentrer ses efforts. Des occupations trop multipliées, une trop grande facilité d'improvisation, une vivacité d'impressions qui faisait succéder l'humeur noire à l'enthousiasme, et provoquait toutes sortes d'entraînements vers la Philosophie, l'Histoire, la Musique et la controverse, l'ont toujours détourné d'engager dans une direction précise l'activité de sa belle et généreuse intelligence. D'ailleurs, un travail excessif et mal réglé avait altéré sa santé. Une mesure profondément regrettable, par laquelle on lui enlevait ses fonctions d'examinateur, lui porta le dernier coup, et il mourut en 1848, consolé par les espérances d'une âme profondément religieuse, mais laissant à ses amis, comme à ceux de la science, d'irréparables regrets.

A. DE LAPPARENT.