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Sommaire du bulletin n. 8
 

LE FONDS U.A.P. - PRIEUR DE LA COTE D'OR

LE FONDS U.A.P. - PRIEUR DE LA COTE D'OR
par Francine MASSON, Conservateur en chef de la Bibliothèque de l'Ecole polytechnique

Le présent numéro est totalement consacré à Prieur de la Côte d'Or, en raison de l'importance du fonds de documents acquis par l'U.A.P. et déposé aux Archives de l'Ecole. Il n'est pas inutile d'apporter maintenant quelques précisions sur le contenu même du fonds.

Le fonds comporte environ 355 documents pour un total de près de 1.500 feuillets, sans compter les partitions musicales.

Le fonds le plus important concerne le système métrique, pour lequel nous avons plus de 120 documents.

Le fonds se compose en gros de trois grands ensembles :

LA JEUNESSE ET LA FORMATION

Le premier ensemble nous introduit au coeur d'une querelle familiale : le jeune Prieur perdit sa mère très tôt et, étant donné l'incapacité de son père à gérer correctement son patrimoine, la tutelle fut délicate. Cela nous vaut un décompte minutieux de dépenses d'entretien et d'éducation de l'enfant.

Nous avons ainsi des renseignements de première main sur le coût d'un certain type d'éducation, certainement assez répandu, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, pour les enfants de la petite et moyenne bourgeoisie.

Nous pouvons aussi suivre les étapes de la formation du jeune homme, avant l'Ecole du Génie de Mézières, puis à l'Ecole et enfin jeune officier du Génie. Là encore, des comptes minutieux et précis sont plus riches d'enseignement sur le mode de vie qu'un long discours.

LA VIE POLITIQUE

Le deuxième ensemble du fonds est beaucoup plus riche et important, car il nous informe sur l'activité de Prieur pendant la Révolution.

Envoyé de la Convention, Prieur participe à plusieurs missions sur le terrain, pour inspecter les forces militaires et juger l'état d'esprit des populations. Ces missions ont donné lieu, pour la plupart, à des rapports publiés par la Convention, mais les notes préparatoires sont fort intéressantes, car elles permettent d'apprécier les méthodes de travail des envoyés.

Le fonds porte également témoignage de l'activité de Prieur dans les affaires d'armement et plus particulièrement dans la production de poudre.

Mais ce qui apparaît le plus important est le sous-ensemble des documents concernant le système métrique, qui représente plus de 120 documents.

On y trouve des réflexions sur la portée politique de l'uniformisation des mesures, mais surtout quantité de lettres et notes sur le quotidien de la mise en place des nouvelles mesures : organisation des ateliers chargés de fabriquer des mesures et des références, établissement de tables de concordance entre anciennes et nouvelles mesures. Prieur eut à régler les problèmes liés à la pénurie de matière première : où trouver les quantités suffisantes de bois et de métal pour fabriquer mètres et kilos? Le métal surtout faisait défaut, et on ne pouvait même pas envisager d'utiliser les cloches des clochers, celles-ci avaient déjà été fondues pour faire des canons!

Le fonds se fait aussi l'écho des discussions acharnées autour de la dénomination des nouvelles mesures. Les mots qui nous sont maintenant si familiers devaient sonner d'étrange manière en 1794, d'aussi étrange manière que les noms qui ont été refusés. On peut suivre, à travers les documents rassemblés, une partie de ces querelles linguistico-scientifiques.

Une part non négligeable de cet ensemble concerne aussi l'éducation. Certes, il y a peu de trace de l'Ecole polytechnique, mais il y a beaucoup de réflexions de Prieur sur l'organisation de l'éducation, et en particulier de l'éducation artistique, à laquelle il attachait une grande importance.

UN BOURGEOIS DE PROVINCE

Le troisième ensemble ne manque pas d'intérêts, mais il est plus anecdotique : relations de Prieur avec ses amis, et ses voisins, gestion de ses intérêts, réflexions sur la vie, trace des nombreux centres d'intérêt d'un bourgeois relativement aisé retiré à la campagne après la Révolution.

On peut faire une mention spéciale des partitions musicales. Prieur se piquait de composer et il a laissé un nombre non négligeable de partitions originales, dont certaines écrites pour mettre en musique les poèmes de son ami Lazare Carnot.

Le souffle de l'histoire traverse tous ces documents, mais il est tempéré par la mesure et la discrétion de Prieur et adouci par la force de ses amitiés.

L'ensemble du fonds Prieur - U.A.P est désormais conservé et traité dans les meilleures conditions, et sa mise à la disposition des chercheurs est complète.

On ne peut que souhaiter que l'opération menée par l'U.A.P et l'Ecole polytechnique serve de modèle et que la collectivité scientifique trouve un écho favorable auprès des mécènes chaque fois qu'il faudra sauver de l'éclatement et de la dispersion les fonds d'archives scientifiques, indispensables à l'étude et à la compréhension de notre histoire.


LE FONDS "PRIEUR DE LA COTE D'OR"
ou LES TRIBULATIONS D'UN "TRESOR" ... ARCHIVISTIQUE
Quelques acquisitions récentes de pièces d'archives par la SABIX et la Bibliothèque de l'Ecole polytechnique.
par Claudine BILLOUX

A la lecture de la biographie ambiguë que Georges Bouchard a consacrée à Claude-Antoine Prieur, dit "Prieur de la Côte d'Or" (1) on ne peut s'empêcher d'envier l'historien d'avoir pu travailler sur un fonds d'archives intact ("un trésor de pièces rares", selon sa propre expression), alors pieusement conservé dans "leur maison bourguignonne d'Aloxe-Corton" par les descendants du légataire universel de Prieur...

Ce fonds a malheureusement été dispersé ces dernières années ... L'enquête qu'un émule de Sherlock Holmes pourrait mener sur les péripéties de cette dispersion aboutirait sans nul doute à la rédaction d'un roman policier d'un genre nouveau : le "polar archivistique...".

Nous n'avons pas le loisir de nous livrer à ce piquant exercice littéraire, car la froide réalité nous contraint à reconstituer désespérément ne serait-ce qu'une partie de ce "trésor", actuellement revendu en "pièces détachées" - et à prix d'or ! - sur la place de Paris !

Car ces documents, que Prieur avait rassemblés et conservés avec "amour", confondant allègrement, et probablement inconsciemment, vie professionnelle et vie privée -mais rendons-lui cette justice qu'il n'est pas le seul à être dans ce cas ... - constituent en fait une partie du patrimoine de l'Ecole polytechnique, établissement dont Prieur est, faut-il encore le souligner, l'un des fondateurs en 1794, le - quasi unique - sauveur en 1795, l'inlassable défenseur dans les années qui suivirent...

Cette création, ce sauvetage, constituent, avec l'organisation des fabrications d'armement et l'établissement du système métrique, l'un des principaux titres de gloire de ce personnage, au demeurant plutôt terne, davantage "bourreau de travail" que véritable "homme de génie, "second couteau" de Lazare Carnot (2), mais qui fut, selon Georges Bouchard, "un de ces hommes que les circonstances élèvent pour un temps au-dessus d'eux-mêmes".

UN CHOIX DELICAT

Au printemps de 1991, un libraire parisien spécialisé a mis en vente un ensemble de documents relatifs à l'Ecole polytechnique, issu des archives de Prieur de la Côte d'Or, vente assortie d'un catalogue aux notices soigneusement élaborées et distribué simultanément à des personnes et des établissements sélectionnés ...

Il nous a fallu effectuer un choix "douloureux" parmi les pièces encore disponibles (des amateurs éclairés ayant très rapidement acquis certains documents précieux cités par Bouchard), les moyens financiers de la Bibliothèque de l'Ecole ne lui permettant pas d'acquérir l'intégralité du fonds (3).

Nous avons bien entendu sélectionné en priorité les pièces qui nous semblaient les plus susceptibles d'enrichir le fonds d'archives de l'Ecole polytechnique pour une période cruciale de son histoire : de sa naissance parfois chaotique à son "sauvetage", un an à peine après sa création, sauvetage assorti d'un changement d'appellation (mesure qui fera sa "gloire") et du privilège de recrutement dans les grands corps de l'Etat par le biais des écoles d'application (mesure qui fera sa force).

D'autres documents ont retenu notre intérêt parce qu'ils offraient un témoignage in vivo sur l'esprit qui animait les acteurs de cette période de la Révolution connue sous le nom de "réaction thermidorienne"...

Cet ensemble de seize dossiers (4) de volume variable (allant d'un simple feuillet à un ensemble de sept rapports ! ) et de contenu très hétérogène, s'étend sur une période de sept ans, de novembre 1794 à novembre 1801. Examinons de plus près le contenu de cette collection, dans l'ordre chronologique.

QUELQUES DETAILS SUR LE "TRESOR"

Le premier dossier [Pièce n° 12], daté de frimaire an 3 (novembre 1794), est constitué par une lettre d'Antoine-François Lomet, "adjudant général" et ingénieur des Ponts et Chaussées, adressée "au citoyen Prieur de la Côte d'Or, député à la Convention Nationale", et accompagnée d'un document de huit pages intitulé : "Observations adressés par le citoyen Lomet adjudant général, aux citoyens chargés de l'organisation de l'Ecole centrale des Travaux publics".

Lomet, à qui l'"on a proposé" un emploi dans cette Ecole, s'est senti obligé de rédiger ce curriculum vitae en forme d'autobiographie ("il faut bien se résoudre à se faire connaître"... ) qui nous paraît un modèle du genre en vogue à l'époque. Notons en passant que l'auteur ne pèche pas par excès de modestie... L'étalage de ses compétences d'enseignant et de son expérience d'ingénieur est ponctué d'attaques virulentes contre l'Ancien Régime : "... l'horreur que nous ressentions du despotisme royal et de sa tyrannie subalterne", contrastant naturellement avec l'éloge de la "Révolution qui a régénéré la France".

Le zèle révolutionnaire du citoyen Lomet fut bien récompensé : en 1794, il sera chargé avec Le Sage et Baltard de constituer la collection de modèles et dessins d'architecture pour l'Ecole centrale des travaux publics. Il y occupera le poste de conservateur des modèles jusqu'en 1797, et y exercera les fonctions d'instituteur de géométrie descriptive et d'architecture à partir de 1795.

Le dossier le plus volumineux [Pièce n° 17] est composé d'une série de sept rapports à en-tête de l'Ecole centrale des Travaux publics, intitulés "comptes décadaires", datés de nivôse et pluviôse an 3 (janvier-février 1795).

Le premier et le plus important de ces rapports est signé par Lamblardie, alors directeur de l'Ecole. Il est précédé d'un rappel des raisons qui ont conduit à la création de l'établissement, des circonstances qui ont entouré cette création et des moyens qui ont été mis en oeuvre pour mener à bien cette tâche.

Ce rapport non daté, mais que l'on peut estimer avoir été rédigé en nivôse an 3, donne en quelque sorte le ton et pose des jalons pour l'avenir. Le texte, très pragmatique, contient quelques phrases-clés sur la mission de l'établissement et les principes retenus pour le recrutement de ses élèves. Citons l'un de ces passages :

"L'Ecole centrale des Travaux publics n'étant pas une Ecole primaire, et son objet étant de former dans le moins de temps possible des ingénieurs capables de rendre des services à la République, il a fallu n'y admettre que des jeunes citoyens déjà instruits dans les premiers principes des mathématiques, et doués surtout des plus heureuses dispositions.
Des examens publics ont paru le meilleur moyen de les juger ; et quoique cette méthode ne soit pas sans inconvénient, puisqu'elle donne très souvent, de grands avantages aux moins timides et aux moins instruits sur ceux qui le sont plus, elle mérite cependant d'être préférée, puisqu'elle éloigne autant que possible tout soupçon d'arbitraire, et tempère au moins les sentiments de jalousie qui naissent de l'amour propre blessé par la préférence d'un concurrent".

Les autres rapports, signés par : Jallier, "inspecteur général" ; Le Sage, "conservateur" du "Cabinet des modèles" ; Ruste, "chef du "Bureau du Directoire de l'Ecole" ; Gasser, "Directeur-adjoint" ; Lebrun, "sous-directeur" ; Baltard, "instituteur adjoint" [d'architecture], portent sur les missions particulières qui leur ont été respectivement confiées.

Certains ne cachent pas les difficultés qu'ils ont rencontrées et les obstacles qu'ils ont dû surmonter, en particulier Jallier, chargé des bâtiments, et Lebrun, responsable des élèves.

Tous ces textes, qui donnent des détails très précis sur le fonctionnement de l'Ecole à ses débuts, viennent combler des lacunes dans les archives conservées par l'établissement.

On peut s'étonner que Prieur ait considéré comme appartenant à ses archives "privées" des documents officiels qui portent presque tous l'en-tête de l'Ecole centrale des Travaux publics...

Mais un document [Pièce n° 18], dont la présence dans des archives personnelles apparaît plus légitime, vient plaider en sa faveur. Il s'agit du brouillon d'une lettre qu'il a adressée le 29 pluviôse an 3 (17 février 1795) "au citoyen Lamblardie, directeur de l'Ecole centrale des Travaux publics", auquel sont joints deux feuillets de notes et un projet d'arrêté des "comités de Salut public, d'Instruction publique, des Travaux publics et des Finances réunis". Le problème soulevé concerne la subvention à accorder aux élèves les plus nécessiteux, l'"indemnité" de "douze cent francs" ne pouvant "suffire à leur pension alimentaire et à leur entretien". Prieur propose donc, dans son projet d'arrêté, de

"prendre sur les fonds à la disposition, jusqu'à la concurrence de trente mille francs, pour donner des sommes à ceux des élèves qui en ont un besoin indispensable ...".

Remarquons cependant que dans l'une de ses notes de réflexions personnelles, Prieur pense à une catégorie bien précise de jeunes gens "pauvres" : "Quelques-uns ont eu leurs parens totalement ruinés dans la Révolution, de sorte qu'ayant eu l'avantage d'en recevoir une éducation soignée, ils n'avaient plus de ressource que d'exercer quelque emploi lucratif, ce qu'ils faisaient avant la formation de l'Ecole". Prieur au secours des enfants des classes privilégiées de l'Ancien Régime ... Il n'a toutefois pas osé affirmer de telles sympathies dans son discours officiel, même dans le courant de la "réaction thermidorienne"...


Suit une série de documents du plus grand intérêt, relatifs à la transformation de l'Ecole à la fin de sa première année d'existence.

Ils témoignent des débats qui ont précédé l'adoption des lois du 15 fructidor an 3 - 1er septembre 1795 - (L'Ecole prend notamment l'appellation de "polytechnique") et du 30 vendémiaire an 4 - 22 octobre 1795 - (loi qui, en fixant les relations entre l'Ecole polytechnique et les écoles d'application, lui donne le privilège d'accès aux grands corps de l'Etat).

La plupart de ces documents ne sont pas datés, mais l'analyse de leur contenu permet d'estimer qu'ils furent rédigés dans les semaines qui précédèrent l'adoption des deux importantes loi ci-dessus évoquées.

Ainsi en est-il d'un texte anonyme [Pièce n° 22] intitulé : "Observations sur le projet proposé dans les lois organiques de la Constitution d'établir plusieurs écoles publiques relatives à certaines fonctions, professions, etc... " et se présentant sous la forme d'un cahier manuscrit de dix pages in-folio.

L'auteur s'évertue à démontrer une double "nécessité" :

Dans un style laborieux truffé de redites, l'auteur donne l'impression de chercher à convaincre par la répétition des termes, le martèlement des phrases : des expressions telles que l'"intérêt du gouvernement", l'aspect "pratique", reviennent sans cesse sous sa plume ...

Cet auteur est-il Prieur lui-même ? En tout cas, l'écriture est celle d'un copiste, et la présentation soignée du document laisse supposer qu'il était destiné à parvenir en haut lieu.

Enfin, détail chargé de signification : les seules ratures qui apparaissent dans le texte concernent le nom même de l'Ecole : par deux fois, à deux lignes d'intervalle, le terme "centrale" est rayé pour être remplacé par celui de "polytechnique".


Un "projet de décret" [Pièce n° 23], également non daté, présente une version très révélatrice du cheminement qui a conduit à la rédaction définitive de la loi du 15 fructidor an 3.

L'article 1 stipule que "l'Ecole centrale des Travaux publics établie en vertu de la loi du 7 vendémiaire an 3 de la République continuera d'exister sous le nom d'Ecole polytechnique".

La comparaison avec la version finale bien connue : "L'Ecole centrale des Travaux publics portera à l'avenir le nom d'Ecole polytechnique", laisse deviner les remous qui ont agité la transformation, pas seulement nominative, de l'établissement après une année de fonctionnement. Beau sujet d'étude pour les amateurs de "rhétorique ...".


Autre projet de décret non daté [Pièce n° 24]. Celui-ci comporte de nombreuses corrections dont les auteurs, d'après l'étude des graphies respectives, peuvent être identifiés comme étant Fourcroy et Prieur.

Ce texte très revu, corrigé, augmenté ou ... diminué, témoigne de la genèse difficile des deux futures lois qui orienteront de manière irréversible le destin de l'établissement :


Un mince "Rapport" [Pièce n° 25] de trois feuillets, anonyme et non daté - mais qui peut, tant par la graphie que par le contenu, être attribué sans hésitation à Prieur - a été visiblement rédigé dans le but de présenter devant la Convention le texte d'"un projet de décret sur les conditions nécessaires pour être admis à l'Ecole centrale des travaux publics", tâche dont Prieur avait été chargé par les trois Comités réunis de Salut public, des Travaux publics et de l'Instruction publique.

Le texte plutôt expéditif - il se contente de faire référence à la loi du 7 vendémiaire an 3 (28 septembre 1794), le texte fondateur de l'Ecole, "sur laquelle le projet suivant est presqu'entièrement calqué", ainsi qu'à divers "écrits" et "comptes-rendus", déjà fournis - ne présenterait pas une grande originalité si l'auteur ne profitait de l'occasion pour s'évertuer, avec une sorte d'enthousiasme communicatif, à décrire en termes dithyrambiques la vie de l'Ecole :

"... l'on n'avait pas trop présumé des premières espérances que l'on en avait conçues [...] l'intéressant spectacle de cet atelier de travail instructif continuellement en activité [...] trois cents jeunes gens d'une intelligence choisie, et une vingtaine d'instituteurs ou artistes, la plupart d'une réputation illustre, s'occupant soit d'acquérir les connaissances les plus utiles des sciences mathématiques et physiques, soit d'en découvrir de nouvelles ou d'en préparer d'heureuses applications aux arts...".


Un manuscrit anonyme non daté [pièce n° 30], dont la présentation soignée est l'oeuvre de copiste, intitulé : "Mémoire sur la nécessité d'organiser d'une manière uniforme, les écoles d'application dans lesquelles on complette (sic) l'instruction des élèves destinés aux différents services publics", est postérieur à la loi du 30 vendémiaire an IV, à laquelle il fait référence, mais pour la critiquer :

"A la vérité, la loi charge les Ministres chacun en ce qui les concerne de l'organisation de ces écoles pour remplir le but de leur institution, mais n'est-il pas à craindre que ces organisations isolées n'offrent des disparités choquantes dans l'enseignement complémentaire qui s'opposeront à l'ensemble que l'on a voulu mettre dans l'instruction par l'établissement de l'Ecole polytechnique qui la prépare pour être achevée dans les écoles de services publics.

La partie élémentaire des sciences exactes et des arts et le résultat de leur application aux différents objets de services publics, sont les deux limites extrêmes des routes à suivre dans l'instruction à donner à ceux qui se destinent à ces services. Ces routes ont été jusqu'à présent incertaines et multipliées, mais l'établissement de l'Ecole polytechnique forme maintenant un véritable point de repaire (sic), vers lequel elles doivent toutes converger, et c'est de ce même point que doivent partir celles qui conduiront d'une manière certaine aux différents buts que l'on veut atteindre pour l'instruction à donner dans les Ecoles de services publics..."

Il est à noter qu'une autre question, plus pratique, mais non négligeable, préoccupe le rédacteur du mémoire :

"Il est encore un objet qui mérite une attention particulière du gouvernement ; c'est la recherche des moyens propres à assurer aux besoins des divers services publics des élèves dont le nombre et l'instruction soient proportionnés à l'importance de ces différents services".

Après la description de ces "moyens", on annonce en pièce jointe un projet d'arrêté à "proposer au Directoire Exécutif.


Il s'agit probablement du document suivant [Pièce n° 31] : un arrêté du Directoire Exécutif "en exécution de la loi du 30 vendémiaire an 4 relative aux écoles de services publics".

Ce manuscrit, de l'écriture d'un copiste, qui comporte en tête, de la main de Prieur, l'indication : "Projet non adopté", indique les modalités d'admission aux écoles d'application, et témoigne de la volonté d'uniformisation, en fonction du passage à l'Ecole polytechnique, clairement exprimée dans le "Mémoire" précédent


Une courte note [Pièce n° 47] non datée, de la main de Prieur, donne la composition du "Jury d'instruction pour l'Ecole polytechnique". (Voir reproduction ci-après).


PRIEUR (C.A.) Jury d'instruction pour l'Ecole polytechnique
Manuscrit autographe d'1 p. in-4°, [vers Frimaire an VI - nov.-déc. 1797]
(C) Coll. Ecole polytechnique

Citons Fourcy : "Ici apparaît pour la première fois, sous le nom de "Jury d'instruction", une institution importante, dont le germe était contenu dans l'"avis" du Comité des Fortifications, et qui, plusieurs fois modifiée dans sa composition et dans ses attributions, a été reproduit, sous le nom de "Conseil de Perfectionnement", dans chaque loi ultérieure de l'organisation de l'Ecole" (5).

Ce texte, d'apparence insignifiante, peut donc être considéré comme l'acte de baptême d'une "institution" qui va régner... jusqu'au 15 juillet 1970, date à laquelle l'Ecole a reçu le statut d"'Etablissement public à caractère administratif", ce qui a eu notamment pour conséquence de supprimer le Conseil de perfectionnement, remplacé par un "Conseil d'administration".

La première composition du "jury d'instruction" est incluse dans le projet d'organisation générale de l'Ecole, que Prieur présenta devant le Conseil des Cinq-Cents, le 4 décembre 1797 ; projet discuté le 13 janvier 1798, puis adopté, avec de légères modifications, le 18 janvier 1798 (29 nivôse an 6) par le Conseil des Cinq-Cents.

Donc cette petite note (que l'on peut dater de novembre 1797), tend à prouver que c'est Prieur, et lui seul, qui serait à l'origine de ce qui deviendra pendant près de deux siècles l'instance suprême de direction de l'Ecole polytechnique.

Deux copies manuscrites [Pièce n° 51] des "Attributions du conseil de Perfectionnement d'après la loi du 25 frimaire an 8", l'une : brouillon de la main de Prieur ; l'autre : "mise au net" par un copiste, prouvent, s'il en était encore besoin, l'intérêt que Prieur portait à cette institution qu'il avait portée sur les "fonts baptismaux" et maintenue contre vents et marées jusqu'à sa reconnaissance définitive par le Conseil des Cinq-Cents, en octobre 1798 ...


"Résolutions du Conseil des Cinq-Cents du 29 nivôse de l'an 6 (18 janvier 1798) de la République française. Du 26 nivôse. Résolution relative à l'Ecole polytechnique". [Pièce n° 48].

Par ce texte, le Conseil des Cinq-Cents adoptait, avec de légères modifications, le projet présenté par Prieur le 14 frimaire an 6 (4 décembre 1797).

Malheureusement, "envoyé au Conseil des Anciens, qui ne le mit en délibération que plus de trois mois après" (6), il fut ensuite rejeté par ce Conseil.

Ce texte imprimé comporte de nombreuses annotations et corrections de la main, semble-t-il, de Prieur, et est accompagné de deux feuillets manuscrits (écriture de copistes) qui sont des propositions de modifications d'articles.

Il vient utilement compléter le fonds d'archives de l'Ecole, qui conservait déjà un exemplaire imprimé de ces "Résolutions", lui aussi copieusement annoté et corrigé.

Nous disposons désormais de deux versions revues et corrigées de ce texte, qui permettront aux historiens de suivre le cheminement conceptuel des rédacteurs, lorsqu'ils eurent à subir devant l'Assemblée l'assaut des détracteurs...


"Programme du cours des travaux des mines" [Pièce n° 53].

Ce brouillon non daté, de la main de Prieur, peut être aisément resitué dans le contexte où il a été élaboré. En effet, le premier paragraphe en est quasi intégralement cité par Fourcy :

"les notions qu'il renferme, quoique très générales, auront cependant une grande utilité, "soit comme introduction aux études nécessaires des élèves voués au service des Mines, soit comme indication, aux élèves des autres services, de plusieurs connaissances, procédés, méthodes ou instrumens (sic) qu'ils peuvent aussi mettre à profit, soit enfin pour tous les élèves, comme application à la géométrie descriptive, tendant à les former de plus en plus à la pratique des projections" " (7).

En 1800, "l'instruction, la discipline, et l'administration devaient occuper tour à tour la sollicitude du Conseil de perfectionnement. Ses premiers soins furent pour l'instruction" (8).

Prieur, qui siégeait au Conseil en tant qu'officier supérieur du Génie, fut chargé de rédiger cette partie du programme.

"Le Conseil de perfectionnement adopta ces vues sur l'utilité des cours d'application" (9).


Le brouillon autographe [Pièce n° 54] d'une lettre que Prieur adressa le 16 ventôse an 9 (7 mars 1801) à son "cher camarade" Bizot-Charmois - officier du Génie qui avait rempli les fonctions d'"instructeur pour les fortifications" à l'éphémère "Ecole de Mars" - nous apporte de précieux renseignements sur les relations entre l'Ecole polytechnique et les écoles d'application de l'Artillerie et du Génie, pour lesquelles Bizot avait prévu un programme commun d'instruction, ajourné par le Comité des Fortifications.

Le contenu de la lettre témoigne des rapports de force entre les différents "lobbies" en présence ... Prieur écrit notamment :

"L'Ecole polytechnique avertie de la grande répugnance de la pluspart (sic) des ingénieurs, cessera je crois, de presser une réunion qui au fait ne l'intéresse plus, une fois que l'instruction des écoles d'applications est améliorée et en harmonie avec la sienne".

Et puis, réaliste et résigné à la fois, il ajoute :

"le gouvernement prononcera d'ailleurs ce qu'il voudra... "!.

Un manuscrit non daté [Pièce n° 56], de la main d'un copiste, portant l'en-tête de l'Ecole polytechnique, donne le "Programme des connaissances exigées par l'admission à l'Ecole polytechnique".

La librairie lui a attribué la date approximative de ventôse an 9 (février-mars 1801), par comparaison avec un programme imprimé parallèlement mis en vente ...

Exemple supplémentaire d'un document qui vient combler une lacune dans le fonds d'archives de l'Ecole, étant donné la pénurie de ce genre de textes pour les premières décennies d'existence de l'établissement.


Dernière pièce de la série [Pièce n° 59] : le brouillon d'une lettre que Prieur adressa (très vraisemblablement à Bizot-Charmois) le 13 brumaire an 10 (4 novembre 1801). Une fois de plus, le contenu traite des relations entre l'Ecole polytechnique et les écoles d'application.

Après quelques paragraphes relatifs aux émoluments et mouvements des personnels de direction, Prieur évoque la possibilité d'une "union prochaine" des écoles de l'Artillerie et du Génie. La preuve : "on cite des paroles du Ier Consul très justifiées à cet égard... "!

Pour clôturer sa lettre, Prieur annonce - détail très important pour sa biographie - :

"Je dois encore pour répondre à l'amitié que vous voulez bien me témoigner vous annoncer qu'il est très vraisemblable que je vais quitter le corps [du Génie] suivant le voeu que j'en ai émis pour raison de santé, et pour me livrer tout entier à l'étude des sciences".

Là se situe une phrase biffée et inachevée que nous n'avons pas jugé inutile de reproduire :

"Ce n'est pas une démission que je donne, car je n'aurais eu droit à aucun traitement, au lieu que par la tournure que le 1er inspecteur a bien voulu prendre pour m'obliger.."

Ainsi, même à un ami, Prieur renonce à révéler par quel moyen il peut continuer à bénéficier du "traitement" relatif à un poste qu'il n'occupe plus dans la réalité!

"La session actuelle du Conseil de perfectionnement sera donc la dernière où je remplirai des fonctions".

Exit donc Prieur.


Mais, pour ne pas rester sur l'impression négative que peut laisser le personnage, à la lueur même de certains de ses propres écrits, auto-censurés ou non, citons une dernière fois Georges Bouchard qui, en honnête biographe, lui a rendu cette justice :

"Nous croyons donc que, en toute équité, on doit attribuer à Monge le mérite d'avoir fondé l'Ecole, à Prieur celui d'avoir permis à cette institution de survivre aux attaques dont elle était l'objet" (10).




Notes :

1- Bouchard, Georges. "Un organisateur de la Victoire : Prieur de la Côte d'Or, membre du Comité de Salut Public". Paris, R. Clavreuil, 1946.

2- Ayant trempé comme lui dans les effroyables massacres des Vendéens, commis par les tristement célèbres "colonnes infernales" de Turreau ...

3- Soulignons l'apport financier déterminant de la SABIX, relayée ensuite par l'A.X., en cette occasion.

4- Tels qu'ils ont été constitués par le libraire chez qui ils ont été acquis. Pour plus de commodité, nous avons conservé dans notre texte la numérotation des pièces de son catalogue.

5- Fourcy, Ambroise. "Histoire de l'Ecole polytechnique". A Paris, chez l'auteur, à l'Ecole polytechnique, 1828. Page 139, réédition Belin, Paris 1987. Sur les péripéties de ces débuts de l'histoire de l'Ecole polytechnique et le rôle de Prieur et de Guyton, voir l'article précédent de E. Grison dans le présent Bulletin.

6- A. Fourcy. Op. cit. page 147.

7- A. Fourcy. Op. cit. page 217.

8- A. Fourcy. Op. cit. page 214.

9- A. Fourcy. Op. cit. page 217.

10- G. Bouchard. Op. cit., page 285.