La SABIX
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Sommaire du bulletin 37
 

LA VIE PASSIONNÉE D'ANDRÉ MARIE AMPÈRE
par Joseph Janin
Professeur honoraire à l'Université Claude Bernard Lyon I,
Vice-président de la Société des amis d'André Marie Ampère

Né le 20 janvier 1775, quai Saint-Antoine à Lyon, André Marie Ampère était le second des trois enfants qu'avaient eus Jean-Jacques Ampère, négociant en soie, et Jeanne-Antoinette Desutières-Sarcey.

Jusqu'à l'âge de sept ans, André Marie vécut en partie à Lyon et en partie dans la maison de Poleymieux, village situé dans les Monts d'Or au nord de Lyon, que J.J.Ampère avait achetée peu de temps après son mariage. Mais à partir de 1782, date à laquelle ce dernier prit sa retraite, la famille Ampère se fixa à Poleymieux.

C'est là que le jeune André Marie forma son esprit. Son père, bourgeois libéral, extrêmement cultivé, qui entendait éduquer ses enfants en s'inspirant de l'Emile de Rousseau, admirait les Encyclopédistes et composait des tragédies ; il apprit le latin à son fils et lui donna le goût de la poésie. Cette éducation surtout littéraire était complétée par des « leçons de choses » que le père donnait à ses enfants au cours des longues promenades faites dans les Monts-d'Or. « Jamais, écrit son fils, il n 'exigea de lui d'étudier quoi que ce soit, mais il lui inspira un grand désir de savoir » et il lui ouvrit sa bibliothèque dès son plus jeune âge et c'est en s'exerçant à comprendre l'Histoire des oiseaux dans l'Histoire naturelle de Buffon qu'André Marie apprit à lire couramment. Celui-ci dévora ensuite tous les livres qu'il trouva, en particulier l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert dont il pouvait encore, bien plus tard réciter par cœur des pages entières, et l'Eloge de Descartes par Thomas qui eut sur lui une influence profonde.


L'Ara vert.
C'est dans les volumes sur les oiseaux de l'Histoire naturelle de Buffon que André Marie Ampère, fasciné par les illustrations, apprit à lire.

Mais vers sa treizième année, raconte-t-il, « les éléments de mathématiques de Rivard et Mazéare étant tombés dans sa main, toute autre étude fut oubliée ». A cette lecture succédèrent celles de l'algèbre de Clairaut et des traités des sections coniques de La Chapelle et du marquis de L'Hôpital. Renouvelant les exploits du jeune Blaise Pascal, il se mit à reconstituer des démonstrations d'algèbre et de géométrie et à en inventer de nouvelles et il composa lui-même un traité des sections coniques avec les matériaux recueillis dans les ouvrages qu'il avait lus. Cependant, il buta sur un article de l'Encyclopédie dans lequel la lettre « d » figurait devant les variables « x » et « y ». Il s'agissait du symbole des différentielles. André Marie en parla à son père qui, pour lui permettre de comprendre ce que contenait l'article, le conduisit chez son ami, l'abbé Daburon, inspecteur des études et professeur de théologie au Collège de la Trinité de Lyon, qui avait des connaissances sérieuses en mathématiques. Celui-ci lui inculqua les principes fondamentaux du calcul différentiel; il lui apprit tout ce qu'il savait et bientôt l'élève dépassa le maître, si bien que le 8 juillet 1788, alors qu'il avait treize ans et demi, André Marie Ampère adressa à l'Académie de Lyon un Mémoire sur la rectification d'un arc de cercle dont la solution faisait appel au calcul différentiel qu'il avait parfaitement assimilé.

André Marie n'est jamais allé à l'école. Les enseignements donnés par l'abbé Daburon et quelques cours de physique donnés à Lyon par le professeur Mollet ont été les seuls qu'il ait suivis, mais sa formation qui fut celle d'un autodidacte, doit beaucoup à l'influence qu'exercèrent sur lui un père extraordinaire et une mère aimante et très pieuse.

Les jours de bonheur à Poleymieux pendant lesquels André Marie se formait étudiant uniquement pour le plaisir d'apprendre sans la préoccupation de se préparer à un métier, herborisant dans la campagne et composant des poésies, s'achevèrent tragiquement avec la Révolution.

Jean-Jacques Ampère, bien que royaliste et catholique, était enthousiasmé par les idées de liberté, d'égalité et de fraternité et avait accueilli avec allégresse la prise de la Bastille. Il avait accepté, bien que retiré des affaires, la fonction de juge de paix à Lyon dans le canton de la Halle au blé, et comme juge et président du tribunal de police correctionnelle, il avait pour mission de combattre ceux qui troublaient l'ordre public, comme le faisaient l'agitateur Chalier et la bande dont il était le chef. Aussi ceux-ci furent-ils arrêtés et Jean-Jacques Ampère fut chargé d'instruire l'affaire.

C'est alors que la Convention décida d'envoyer à Lyon des troupes chargées de dompter une ville qui s'était dotée d'une municipalité provisoire de tendance girondine et de ce fait était considérée comme rebelle par le pouvoir central. Après un terrible siège qui dura deux mois, Lyon fut occupée le 9 octobre 1793 par l'armée de la Convention et soumise à une répression féroce par Collot d'Herbois et Fouché. Jean-Jacques Ampère était alors arrêté et exécuté sur la place des Terreaux le 24 novembre.

On a conservé la lettre qu'il écrivit à sa femme la veille de sa mort, lettre dans laquelle ce grand honnête homme fait preuve à la fois de courage et de sérénité et qui comporte cette phrase prophétique concernant André Marie : « Quant à mon fils, il n'y a rien que je n'attende de lui ».

Pendant une année entière, André Marie fut traumatisé par l'exécution de ce père admiré pour son libéralisme, sa conscience civique et son immense culture et c'est seulement à l'automne 1794 qu'il reprit goût à la vie, faisant de longues promenades dans les Monts d'Or au cours desquelles il s'adonnait à sa passion pour la botanique, s'initiant à toutes les sciences qui se développaient à cette époque, composant des vers et inventant même une langue universelle.

La situation de la famille Ampère était alors très précaire, la fortune de Jean-Jacques Ampère ayant été confisquée et si après le 9 thermidor, Madame Ampère put obtenir la levée du séquestre et la jouissance définitive de sa maison de Poleymieux, elle était pratiquement ruinée.

C'est alors en 1796, qu'André Marie eut la révélation de l'amour. Se rendant à Saint-Germain au Mont d'Or où résidait une de ses tantes, il rencontra en chemin une jeune fille dont il tomba immédiatement amoureux, Julie Carron. Julie était à la fois jolie, gaie, vive et fort cultivée. André Marie la décrivait ainsi :

« Des cheveux d'or, des yeux d'azur,
Un teint où l'on croit voir des roses
Nager dans le lait le plus pur,
Sur les lèvres à demi closes
D'une bouche digne des dieux
Un sourire vif et tendre ;
Une voix pour être amoureux
Qu 'il suffit seulement d'entendre....»

Si André Marie fut immédiatement épris, Julie plus raisonnable était beaucoup moins passionnée, elle se laissa conquérir. La première rencontre ayant eu lieu le 10 avril 1796, c'est en effet le 3 juillet 1797 seulement que furent scellées les fiançailles et deux longues années s'écoulèrent avant la célébration du mariage.

Il faut dire qu'en 1796, André Marie n'avait que 21 ans, alors que Julie était de près de deux ans son aînée et qu'il n'avait pas encore de situation lui permettant de créer un foyer. Aussi s'installa-t-il à Lyon pour y donner des leçons d'algèbre et se faire connaître dans les milieux scientifiques. Il y constitua un groupe d'amis avec lesquels on discutait de philosophie, de sciences, de littérature et au cours de ces réunions, on y lut notamment le « Traité élémentaire de chimie d'après les découvertes modernes » écrit par Lavoisier, qui devait orienter Ampère vers la combinaison des corps. Enfin le 6 août 1799 fut célébré le mariage tant désiré.

Le jeune ménage s'installe au 6 de la rue du Bât d'Argent. L'année qui s'ouvrit fut pour André Marie une année de bonheur, la seule de sa vie d'adulte. Ses leçons obtenaient un franc succès; en 1800, il était admis à l'Athénée de Lyon, nom que portait alors l'Académie des sciences de Lyon, et un fils nommé Jean-Jacques en souvenir du grand-père vint combler le bonheur du ménage.

Pour pouvoir faire vivre celui-ci, André Marie postula une chaire dans l'une des Ecoles centrales qui constituaient les établissements d'enseignement secondaires de l'époque. Il fut nommé à Bourg-en-Bresse et dut y partir seul, car Julie avait contracté à la naissance de son fils une maladie de poitrine qui allait se transformer en tumeur abdominale et lui interdisait de s'expatrier. Ainsi pendant plus d'un an, André Marie dut faire la navette entre Bourg et Lyon où s'était installée sa femme.

Le séjour à Bourg fut marqué par un travail incessant ; Ampère y enseignait la physique et la chimie, donnait des leçons particulières pour faire vivre mieux sa famille et en outre, consacrait la majeure partie de son temps disponible à résoudre un problème qu'il s'était posé depuis plusieurs années sur l'application de la théorie des probabilités à la théorie du jeu. Le mémoire qu'il croyait pouvoir terminer en quelques jours l'occupa pendant dix mois, car il le remettait constamment en chantier. Or, à cette époque devait s'ouvrir le concours destiné à choisir les professeurs qui enseigneraient dans les Lycées par lesquels le Premier consul avait décidé de remplacer les Ecoles centrales. Une chaire de mathématiques devait être ainsi pourvue à Lyon et deux commissaires, membres de l'Institut, avaient été chargés d'examiner les candidatures. Le Mémoire sur la théorie du jeu fut présenté à l'Institut le 12 janvier 1803 ; il fut suivi, trois mois plus tard par un second portant sur le calcul des variations. Aussi, Ampère ayant reçu l'appui chaleureux de deux académiciens éminents, les astronomes de Lalande et Delambre, fut-il nommé le 4 avril 1803 professeur de mathématiques au Lycée de Lyon.


Ampère, professeur de mathématiques au lycée de Lyon
Ce croquis, réalisé par un de ses élèves pendant l'année scolaire 1803-1804, a été donné au Musée Ampère par le sénateur Justin Godart

Mais cette nomination tant attendue puisqu'elle réunissait les deux époux, arrivait trop tard. Julie était à l'agonie et mourait dans les bras de son mari le 13 juillet.

La mort de cette épouse adorée laissa Ampère désespéré. Il abandonna alors la recherche scientifique pour s'absorber exclusivement dans des problèmes philosophiques, métaphysiques et religieux qui l'avaient toujours passionné. Il fut alors l'inspirateur d'un cercle qui sous le nom de « Société chrétienne » réunissait un certain nombre d'esprits originaux, dont ses deux amis Claude Bredin et Pierre-Simon Ballanche avec lesquels il entretint durant toute sa vie une correspondance qui nous demeure précieuse. Cependant, pour tenter d'oublier, il décida de quitter Lyon et ayant accepté un poste de répétiteur à l'Ecole polytechnique, il s'installa à Paris à l'automne 1804. En 1807, il fut nommé professeur d'analyse, puis en 1808, il fut choisi comme examinateur au concours d'entrée à l'Ecole polytechnique; en 1808 également, il devenait de plus Inspecteur général de l'Université. Sa situation matérielle était dès lors assurée.

Malheureusement cette période durant laquelle Ampère poursuivit des travaux de mathématiques de grande importance sur les équations aux différentielles partielles notamment, fut aussi pour lui celle d'un tragique échec sur le plan sentimental. Il contracta, en effet, le 1er août 1806 un second mariage. Sa deuxième épouse Jeanne Potot était une pimbêche prétentieuse sans âme et d'un égoïsme monstrueux qui le rendit extrêmement malheureux. Elle lui donna une fille, Albine, dont elle se désintéressa totalement et finalement les deux époux se séparèrent.

Après la mort de sa mère en 1809, Ampère reste seul avec sa plus jeune sœur et ses deux enfants. Ceux-ci devaient lui causer plus tard bien des déboires. Albine épousa, en effet, un officier alcoolique qu'il fallut interner à plusieurs reprises et sombra elle-même dans la folie. Quant à Jean-Jacques, s'il fit une carrière d'homme de lettres brillante puisqu'il enseigna au Collège de France et fut élu à l'Académie française, il vécut souvent à l'étranger, loin de son père, soit en raison des travaux qu'il poursuivait en littérature nordique et américaine, soit pour suivre Juliette Récamier dont il était follement épris, et André Marie souffrit beaucoup d'être ainsi séparé de son fils.

Durant les années 1807 à 1815, Ampère se livra à d'importants travaux de chimie. C'est ainsi qu'en 1809, immédiatement après avoir pris connaissance des travaux de Gay-Lussac et de Thénard sur les acides que l'on nommait alors muriatique et fluorique (acides chlorhydrique et fluorhydrique), il conclut qu'ils ne se différenciaient que par les deux corps analogues à l'oxygène avec lesquels l'hydrogène était combiné et auxquels il donna les noms de chlore et de phtore ( le fluor actuel)

Et lorsqu'à la fin de 1808, Gay-Lussac, collègue d'Ampère à l'Ecole polytechnique, publia son Mémoire fameux sur « la combinaisons des substances chimiques entre elles » dans lequel il indiquait que les combinaisons des substances gazeuses se faisaient toujours dans des rapports de volumes simples, Ampère qui croyait à la théorie moléculaire avec une foi absolue, eut l'idée de rapprocher le phénomène mis en évidence par Gay-Lussac et la loi de Mariotte dont il donna une démonstration dans un article lu à l'Académie des sciences le 24 janvier 1814, en supposant que « dans les gaz, les particules sont à une distance suffisante les unes des autres pour que les forces qui leur sont spécifiques n'aient plus aucune influence sur leurs distances mutuelles. » Cette hypothèse préludait à celle suivant laquelle le nombre de particules est pour tous les gaz le même dans des volumes égaux aux mêmes conditions de température et de pression qu'il a émise trois mois plus tard dans une « lettre à Berthollet » .C'est en mai 1814 seulement qu'Ampère, débordé par des occupations professionnelles absorbantes auxquelles s'ajoutaient les obligations qu'imposait une candidature à l'Institut, ainsi qu'une crise sentimentale, publie ce travail. Il ne savait pas alors que l'italien Avogadro avait fait paraître en 1811 un mémoire sur un sujet analogue ; aussi la proposition due aux recherches de ces deux savants, qui a joué un si grand rôle dans la chimie moderne, a-t-elle été désignée dans la suite sous le nom de loi d'Avogadro-Ampère.


Passeport pour l'intérieur délivré le 7 octobre 1807 à André Ampère
Nous sommes alors sous l'Empire. La circulation des voyageurs est contrôlée. Ampère, chassé en juin par sa femme de l'hôtel de son beau-père, doit en outre prendre soin de sa fille Albine, âgée de 3 mois, dont sa mère refus de s'occuper. Il s'installe 22, rue Cassette, et vient à Poleymieux chercher son fils qui vient d'avoir 7 ans, sa mère, sa soeur et sa tante, qui s'occuperont des deux enfants. Noter la taille d'Ampère : 1,77 m.

Laissant de côté d'autres travaux d'Ampère dans cette même discipline, je me contenterai d'ajouter que, pour expliquer les expériences de Gay-Lussac sur la combinaison de l'hydrogène et de l'oxygène pour former la vapeur d'eau, Ampère a montré la nécessité d'une coupure de la molécule d'oxygène en deux parties pour entrer dans la combinaison, ce qui impliquait l'existence d'un élément plus petit que la molécule, l'atome.

Ampère était alors un savant très connu. Il fut élu en novembre 1814 à l'Académie des sciences dans la section de géométrie et un mois après, il obtenait la Légion d'honneur. Il achetait en 1818 une maison située à Paris au 19 de la rue des Fossés-Saint-Victor dans laquelle il installa un laboratoire qui devint fameux et où passèrent tous les physiciens de son temps. Toutefois, pour régler les dépenses qu'entraîna cette acquisition, il dut se résigner à vendre le domaine familial de Poleymieux.

Et voici qu'en 1820 s'ouvrit une nouvelle étape dans la vie du savant, celle qui devait immortaliser son nom. Arago rendit compte le 4 septembre 1820 à l'Académie des sciences de l'expérience faite quelques mois auparavant par le physicien danois Oersted concernant l'action du courant « galvanique » (le courant électrique) sur l'aiguille aimantée ; celle-ci, primitivement parallèle au fil conducteur tendait à se mettre en croix avec ce dernier lorsqu'il était parcouru par le courant, et la semaine suivante, le 11 septembre, il répétait devant ses confrères l'expérience d'Oersted. Ampère qui avait assisté aux deux séances de l'Institut eut immédiatement l'intuition qu'il s'agissait d'un phénomène fondamental ; aussi travailla-t-il jour et nuit avec une passion qu'il qualifia de «furibonde » et conçut en deux semaines la théorie qui allait créer l'électrodynamique. Dès le 18 septembre, il présenta à l'Académie des Sciences un Mémoire dans lequel il expliquait l'expérience d'Oersted en identifiant un aimant à un « assemblage de courants électriques », puis, la semaine suivante, réalisa une expérience confirmative mettant en évidence l'action mutuelle de deux courants électriques. Depuis cette date, pendant plusieurs mois, Ampère fit presque à chaque séance de l'Académie une communication. Certaines avaient un caractère essentiellement théorique comme le calcul de la force agissant sur deux éléments de courant, relation qui a servi de base à la définition de l'unité d'intensité de courant électrique, l'équivalence entre un circuit électrique et un aimant extrêmement plat (appelé feuillet magnétique) ou la théorie des courants particulaires. D'autres étaient orientées davantage vers l'instrumentation ; c'est en particulier le cas de la réalisation en commun avec Arago de l'électro-aimant, de la proposition faite par Ampère d'utiliser les actions magnétiques dues au courant pour en mesurer l'intensité par un instrument désigné d'abord sous le nom de galvanoscope puis de galvanomètre, ou pour transmettre des messages au moyen d'un télégraphe électrique qu'Ampère ne réalisa pas, mais dont un exemplaire construit suivant ses données se trouve aujourd'hui à Poleymieux. Je ne saurais enfin oublier le fameux « bonhomme d'Ampère » qui a permis à des générations d'élèves de se familiariser avec les lois de l'électromagnétisme et dont une image dessinée par son auteur a été trouvée parmi les archives du savant.

Je limiterai à ces quelques lignes le rappel des travaux d'Ampère sur l'électromagnétisme puisqu'un article détaillé leur est consacré. Malgré sa brièveté, ce court résumé montre néanmoins qu'Ampère a su allier une aptitude exceptionnelle à utiliser l'outil mathématique comme appui de l'expérimentation, à des qualités incontestables d'expérimentateur et l'on est frappé en examinant sa table d'expériences au Musée de Poleymieux de l'ingéniosité qu'il a dû déployer pour réaliser ses expériences avec les matériaux de fortune dont il disposait.

Ampère a rassemblé l'essentiel de ses travaux sur l'électricité dans un ouvrage intitulé « Théorie des phénomènes électrodynamiques uniquement déduite de l'expérience » et publié en 1826 ; cette date clôt la période électrodynamique d'Ampère qui a duré environ six ans, mais l'électromagnétisme n'a vraiment occupé toutes ses pensées que de 1820 à 1821, c'est-à-dire pendant moins d'un an.

Une chaire de physique se trouvant libre au Collège de France en 1824, Ampère posa sa candidature. Deux physiciens de génie, parmi les plus grands de l'époque, André Marie Ampère et Augustin Fresnel, le créateur de l'électrodynamique et le maître de l'optique ondulatoire, étaient candidats, mais le corps enseignant du Collège de France choisit le minéralogiste Beudant pour occuper le poste. L'Institut qui avait son mot à dire, s'opposa heureusement à la nomination de Beudant, et finalement, après une série de manœuvres et de tractations, la chaire échut à Ampère.

Mais la joie que lui procurait cette nomination fut de courte durée, car au lieu de le décharger de ses fonctions à l'Ecole polytechnique qui lui pesaient, d'autant plus qu'il avait certaines difficultés avec des élèves moqueurs et peu disciplinés, le Ministère de l'instruction publique l'obligea à abandonner son poste d'Inspecteur général qui était le plus rémunérateur, si bien qu'Ampère se trouva une nouvelle fois soumis à de sérieux embarras financiers. Quatre ans après, en 1828, il fut cependant réintégré jusqu'à la fin de sa vie comme Inspecteur général.

Ampère continuait à enseigner au Collège de France où son fils Jean-Jacques professait également et ainsi que le rapporte Louis de Launay : « C'était, paraît-il, un spectacle émouvant de voir le père, en quittant sa chaire glorieuse, venir assister modestement ou plutôt fièrement, à toutes les leçons de son fils. »

Mais les forces d'Ampère déclinaient. Il avait à 54 ans l'apparence d'un vieillard. Pour ménager sa santé, on l'envoyait en tournée d'inspection dans le Midi de la France et c'est au cours d'une de ces tournées qu'ayant contracté une nouvelle pneumonie, comme celle qu'il avait subie en 1829 et dont il ne s'était jamais complètement guéri, qu'il mourut loin des siens au Collège royal de Marseille, actuellement Lycée Thiers, le 10 juin 1836. Il avait alors un peu plus de 61 ans.

Les restes de l'illustre physicien demeurèrent à Marseille et ne furent transférés qu'en 1869 au cimetière Montmartre où ils furent déposés à côté de ceux de son fils mort en 1864.

La renommée du grand savant s'est perpétuée depuis lors. Un demi-siècle après sa disparition, Maxwell le regardait comme le « Newton de l'électricité » et le mathématicien Bertrand écrivait en 1872 : « C'est sans aucune exagération qu'aujourd'hui, à un demi-siècle de distance, sans subir l'entraînement d'aucune amitié et sans complaisance pour personne, nous pouvons placer le nom d'Ampère à côté des plus illustres dans l'histoire de l'esprit humain. »

Quelques années plus tard, en 1881, le congrès international des Electriciens donnait le nom d'Ampère à l'unité d'intensité de courant électrique et cette unité, basée longtemps sur les lois de l'électrolyse, fut par décret de mai 1961, définie directement à partir de la force électromagnétique entre courants parallèles qu'avait exprimée Ampère.

On n'aurait donné qu'une vue incomplète de ce que fut réellement André Marie Ampère si l'on ne faisait pas état de sa pensée philosophique et si l'on omettait de dire ce que fut l'homme.

La philosophie occupa la pensée d'Ampère pendant toute sa vie et si son œuvre n'a pas dans ce domaine la même notoriété que ses travaux scientifiques, elle fut cependant suffisamment reconnue pour qu'il ait été chargé d'enseignements de philosophie à l'Ecole normale supérieure en 1817 et à la Faculté des lettres de Paris en 1819-1820. Xavier Dufour qui vient de soutenir sur le sujet une thèse d'une très grande importance précise, dans un article qui leur est spécialement consacré, les idées philosophiques d'Ampère.

André Marie Ampère était un être de foi, même si ce chrétien passa par des périodes de doute, soit sous les coups du sort, comme ce fut le cas après l'échec de son second mariage, soit au temps où il était en relation intime avec Maine de Biran. « Mon père, atteste son fils, a vécu et est mort dans la foi catholique. C'est dire que les dogmes du catholicisme ne pouvaient être pour lui sujets de discussion ».

L'état de doute dans lequel Ampère s'est trouvé à plusieurs reprises était pour lui une souffrance intolérable : « Le doute, écrivait-il, est l'état le plus pénible pour l'intelligence parce que Dieu a voulu que l'homme souffrît quand il s'écarte de la vérité, comme quand il s'écarte du devoir. » Et à son ami Bredin, il adressait cette supplique : « Je ne trouve que des vérités, enseigne-moi la Vérité ». Mais durant les dix dernières années de sa vie, Ampère connut l'apaisement en revenant totalement à la foi de sa jeunesse, ainsi que l'atteste Frédéric Ozanam qui a habité pendant deux ans chez lui. Quant à l'homme, quel est-il ?

Plusieurs portraits d'Ampère se trouvent au Musée Ampère, peintures et dessins, notamment celui que fit un de ses élèves et qui donne bien, semble-t-il la physionomie à laquelle ses contemporains étaient habitués : figure un peu épaisse et bourrue, les cheveux en désordre et peu de soin dans l'aspect extérieur. L'habit noir à la française mal coupé qu'Ampère arborait à ses cours à l'Ecole polytechnique suscitait les quolibets des élèves guère enclins à la pitié.

Mais à côté de l'homme physique, c'est la personnalité morale qui nous intéresse surtout. L'homme était aussi simple, aussi bon que le savant était grand. La règle constante de sa vie fut le désintéressement, même s'il n'était pas insensible à la reconnaissance de ses mérites. Ainsi, comme l'écrit Sainte-Beuve, « on citerait difficilement un autre savant plus indifférent à ce qu 'il y a de personnel dans la gloire ».

Ampère n'a rien tiré pour lui-même de ses travaux et de ses inventions si riches de potentialités comme le montrera l'avenir et il est mort pauvre. Mais n'écrivait-il pas dans sa correspondance : « Perfectionner moi-même et les hommes, voilà l'idée que j'ai toujours devant les yeux et fixée dans mon esprit. Je ne veux travailler, ni sentir, ni composer rien qui ne vise là ». Ce beau programme que lui dictaient simultanément la raison et sa foi, c'est celui qu'il appliqua tout au long de sa vie.

Enthousiaste, passionné, romantique avant la lettre, Ampère le fut autant dans sa vie intime que dans sa carrière de savant. C'est avec la même fougue qu'il entreprenait ses expériences, qu'il s'est lancé successivement dans des recherches de mathématiques, de chimie, de physique et qu'il poursuivit, sa vie durant, sa quête de l'idéal féminin et le recherche de la vérité.

Cet enthousiasme et une imagination parfois excessive qui caractérisaient son génie furent aussi pour Ampère à l'origine de bien des déconvenues. Ils lui firent croire à « des bonheurs impossibles, des espérances chimériques », ainsi qu'il l'écrivait à Bredin, et ils s'accordaient mal à ses fonctions de professeur. Ce n'est pas seulement à cause de ses distractions qui deviendront légendaires et des erreurs de calcul qui en résultaient durant les démonstrations qu'il faisait à ses élèves au bout desquelles, désespéré, il finissait par donner sa parole d'honneur que le théorème était vrai, qu'il n'a jamais été considéré comme un bon professeur à l'Ecole Polytechnique. C'est aussi et surtout parce que trop riche de pensées, il était toujours en avance sur son auditoire ; passionné par son sujet, il avait trop à dire et souvent, perdant la notion du temps, il n'arrivait pas à terminer.

Pour conclure, je dirai qu'Ampère fut un génie universel comme l'ont été avant lui Descartes, Pascal, Newton et comme le sera plus tard Einstein et qu'il fut également un esprit avide de vérité, un homme bon et généreux qui, comme l'a écrit Sainte-Beuve « semait au vent ses idées et son cœur ».

Dans sa biographie d'Ampère, Tancrède de Visan rappelait la phrase de Renan : « L'homme parfait serait celui qui serait à la fois poète, philosophe, savant, homme vertueux, et cela non pas par intervalles et à des moments distincts (il ne le serait que médiocrement), mais par une intime compénétration à tous les moments de sa vie », et à la suite de Paul Janet, on peut dire qu' « Ampère est bien près de se rapprocher de ce portrait ».